Skeleton Crew, l’inépuisable retour de la Force
Nouvel avatar Star Wars, Skeleton Crew s’aventure dans un espace saturé de films et de séries. Avec Jude Law aux commandes, la série séduit par l’alchimie de ses références et pourrait réveiller un public endormi.
La galaxie Star Wars va-t-elle craquer sous le poids de ses multiples incarnations? Après l’échec public et en partie critique rencontrée par la pourtant très honorable The Acolyte, Disney+ lâche, dans l’infini, et au-delà une nouvelle série repoussant encore les frontières de la franchise: après les pincées de thriller, d’ambiances mafia, ou d’aventures hissées des années 80 par ses prédécesseurs (The Mandalorian, Andor), Skeleton Crew relance au cœur de l’habituelle atmosphère intergalactique une combinaison de fantasy enfantine et de flibuste. Flirtant ouvertement avec quantité de films et de séries cultes, Skeleton Crew a dû trouver sa place dans un univers déjà bondé de références. Pour ses créateurs, Jon Watts et Christopher Ford, c’est précisément ce qui a permis à leur projet de jouer des coudes pour s’imposer.
Un gag méta
« L’idée de départ était de centrer l’histoire sur un groupe d’enfants perdus, dépassés par les évènements en chaîne qu’ils provoquent par excès de curiosité, explique Christopher Ford. L’originalité c’est que, alors que l’histoire se déroule juste après la chute de l’Empire à la fin du Retour du Jedi, ils ignorent tout des évènements, de la guerre, des hauts faits de la Rébellion. Ils sont sur une planète qui, pour une raison particulière, a vécu dans une sorte de bulle. Seul Wim est intrigué par l’histoire des Jedi, qui n’est qu’un vague écho d’un passé lointain et oublié. Et c’est sa curiosité irrépressible qui va attirer sa bande dans l’aventure. »
La scène d’introduction du jeune Wim, 10 ans, comporte une astuce: il joue avec des figurines de héros provenant de l’univers cinématographique dont lui-même est le prolongement. Un gag méta autour des produits dérivés Star Wars qui, outre l’identification qu’elle permet avec la part enfantine du public, donne l’impression que la galaxie s’est refermée sur elle-même, qu’elle n’inventera plus mais se racontera en fractales. Démarrée avec le destin de Luke Skywalker, au cœur d’une lutte entre l’Empire et la Rébellion, alors que l’héritage des Jedi était en veille profonde, la saga déborde aujourd’hui de ramifications, de films et de séries déclinant autant de prequels, sequels, d’univers parallèles, d’intrigues et de personnages qui dessinent une ligne du temps touffue (lire ci-contre).
Depuis qu’elle a pris la direction de LucasFilms en 2012 après un rachat historique par Disney, la productrice Kathleen Kennedy a imprimé sa marque et ses ambitions. Co-fondatrice avec Steven Spielberg d’Amblin Entertainment, en 1981, son nom est derrière une ribambelle de films qui ont décliné l’aventure pendant la même décennie dans des dimensions et des genres multiples (Gremlins, E.T., L’Aventure intérieure, Retour vers le Futur, Jurassic Park, les premiers Indiana Jones…). Au sein de la Walt Disney Company, à la tête de LucasFilms, elle dirige la destinée des différents projets Stars Wars qui ont constellé nos écrans: la troisième trilogie, Rogue One, ainsi que les séries Mandalorian, The Book of Boba Fett, Obi-Wan Kenobi, The Acolyte et, aujourd’hui Skeleton Crew. Co-responsable de l’inflation d’univers parallèles adjacents ou complémentaires aux trilogies, Kathleen Kennedy déclare pourtant veiller avec minutie sur la cohérence visuelle et culturelle de l’ensemble et le respect d’un fan service incontournable, malgré de sérieux couacs rencontrés par Obi-Wan et The Acolyte: « Nous voulons offrir la possibilité à chaque fan de trouver son propre point d’entrée dans l’univers Star Wars« , déclarait-elle lors d’une interview donnée durant la conférence bisannuelle Star Wars Celebration, l’an dernier. Au-delà d’une formule pleine de bonnes intentions, le programme est clair: ouvrir les fenêtres à tous les vents, les formats, les récits qui permettent de happer le public dans la constellation Star Wars et les y tenir un maximum de temps avec des personnages, des scénarios et des décors capables d’assouvir le besoin d’exploration ou de nostalgie.
Fatigue
On l’a vu, face à la multitude d’incarnations/réincarnations, de récits, personnages et univers parallèles, passés et futurs, une certaine fatigue se fait sentir, similaire à celle qui frappe un autre pan de la Disney Company, le Marvel Cinematic Universe. Cela ressemble même parfois carrément à du backlash. The Marvels en a fait les frais, carrément boudé par le public, dont une partie lui reprochait le simple fait de montrer le monde dans sa diversité de genres et d’origines.
Mais c’est sans commune mesure avec la campagne de dénigrement subie pour les mêmes raisons par The Acolyte, dont la deuxième saison a été annulée précipitamment cet été. « Opérer au sein de ces franchises géantes, avec les médias sociaux et le niveau d’attente, c’est terrifiant, avouait Kathleen Kennedy dans la même interview. Je pense que beaucoup de femmes qui se lancent dans Star Wars ont un peu plus de difficultés avec ça. Étant donné que la base de fans est très dominée par les hommes, ils sont parfois attaqués de manière assez personnelle. Mais je crois que la narration doit être représentative de tous. » Peut-être, mais ce constat ne peut expliquer à lui seul la lassitude face à un business model reposant sur les retombées des produits dérivés, le confort d’un monde qui n’est plus à présenter, l’extraordinaire pépinière de personnages qu’a constitué la première trilogie et une fan base croissante, avide d’hagiographie et de places au banquet des Rebelles, des Jedi et de l’Empire.
Dans ce contexte, équilibrer les curseurs en étant capable de faire référence au matériau d’origine tout en s’affranchissant de ses couloirs narratifs encombrés semble la seule possibilité de donner de l’air à la saga tout en assurant une forme de fan service. C’est la carte jouée par Skeleton Crew, dont Jon Watts précise le cadre choisi: « On voulait vraiment que les éléments visuels et sonores confirment que l’histoire démarre dans la même galaxie que la trilogie. Sur cette base, il fallait imaginer une histoire centrée sur des enfants qui permette d’ouvrir une nouvelle perspective sur un monde déjà bien balisé. C’est là qu’intervient la dimension pirates du récit, un univers en soi qui permet des combinaisons infinies en terme d’aventures. Mais il ne suffisait pas de greffer ces éléments. Nous avons dû nous poser une question très précise: comment George Lucas insérerait des pirates à l’univers Star Wars? » Pirates, Disney… Une manière de rouvrir une malle au trésor précocement refermée?
Pirater l’imaginaire
George Lucas lui-même y avait souvent pensé, mais n’y est jamais allé franchement. Des pirates, on en retrouve déjà, en quelque sorte, dans les méthodes de Jabba le Hut ou des Jawas. Mais il s’agit plus d’allusions au sein d’un agrégat de références. Christopher Ford assume de poursuivre au-delà de ce que Georges Lucas avait imaginé, tout en respectant une forme de griffe, d’ADN de la marque. « George Lucas travaille en effet beaucoup par références: aux films de genre, aux légendes, aux évènements historiques… Alors on s’est plongés de la même manière dans les films et les histoires de pirates. Ceux des années 1930, par exemple, sont réalisés avec une minutie impressionnante. Un jour je regardais Captain Blood, un classique de 1936, avec Erroll Flynn, quand mon jeune fils de 6 ans est venu s’asseoir près de moi. C’est un film avec des codes très datés, des plans larges, interminables, des souverains qui monologuent sans fin. Mais mon fils était captivé. Il n’avait pas du tout le même rapport que moi à ce type de production qui sont vraiment datées: pour lui c’était tout nouveau, frais, original, radical même. Il y avait quelque chose là qui me semblait bon à prendre. » « Et puis, l’Empire et les pirates, poursuit Jon Watts, ce sont deux mondes différents, deux méthodes différentes de pouvoir. Le chaos que génèrent les seconds, et dont ils se repaissent, est une matière assez nouvelle de plonger dans l’univers Star Wars. »
Entre le pedigree eighties de Kathleen Kennedy et la lucidité des créateurs de Skeleton Crew, Star Wars et Disney entendent clairement se positionner sur un terrain très similaire de celui sur lequel campent Netflix et Stranger Things: un feeling réminiscent des Goonies, hyper référencé jusque dans son casting. Un ensemble représentatif d’une certaine idée de l’enfance, de ses rêves, de son imaginaire, de ses enjeux et de ses aventures dont le cinéma des années 80 a fait sa marque de fabrique. « Tout le monde a été un enfant un jour« , sourit Jon Watts. Pendant que Georges Lucas faisait des films avec des codes d’adultes dont il espérait qu’ils soient vus à travers nos regards d’enfants, Spielberg créait des mondes habités d’émotions sérieuses, incroyablement complexes dans leur cinématographie, qui avaient pour héros des gamins de 10 ans Et qui prenaient les choses très au sérieux, qui n’acceptaient pas la condescendance des adultes. Quelque part entre ces deux mondes, ces deux façons de faire, il y a la base de Skeleton Crew. »
Skeleton Crew ***(*), de Jon Watts et Christopher Ford, sur Disney.
Avec Jude Law, Ravi Cabot-Conyers, Ryan Kiera Armstrong.
Au sein de la Nouvelle République héritée des luttes finales du Retour du Jedi, la vie normale reprend son cours. Dans une projection aussi fidèle que déprimante de ce que pourrait donner, sur une planète lambda, l’équivalent de nos zones résidentielles, le jeun Wim (Ravi Cabot-Conyers) vit avec son père, Wendle (Tunde Adebimpe). Il échappe à l’ennui quotidien en lisant en cachette d’anciennes légendes sur les Jedi. Dans une succession d’événements rocambolesques dont l’entertainment a le secret pour nous délivrer de tout sentiment d’incrédulité, voilà Wim projeté loin de chez lui, par-delà les années-lumière, dans un vaisseau spatial découvert lors d’une excursion nocturne avec ses camarades Fern, KB et Neel. Destination: un repaire de pirates où ils rencontreront le curieux capitaine Jod Na Nawood. Destitué après une mutinerie, celui-ci leur promet de les ramener chez eux. C’est sans compter une bordée de pirates sanguinaires lancés à leur trousse et un plan secret façonné par leur nouveau guide.
Skeleton Crew manie à merveille les scènes d’actions, l’imaginaire aventurier et les multiples œillades à la psyché juvénile et à ses incarnations dans la pop culture au service d’une quête épique classique. La panoplie renvoie aux enfants perdus de Peter Pan, ou de Mad Max 3, aux Goonies évidemment, et au gang de Stranger Things. Dans le rôle de Jod Na Nawood, Jude Law emprunte à la fois au Long John Silver du roman L’Île au trésor et à Jack Sparrow pour le côté roublard, cultivant savamment l’ambiguïté de son génie ou de son imposture. L’acteur britannique s’en sort bien sur un terrain aussi glissant qu’arpenté. Enfin un droïde, SM33 -dont la voix en anglais est assurée par le délicieux Nick Frost, star des films cultes Hot Fuzz ou Shaun of the Dead-, apporte une note très steampunk à l’équipage. La dimension mythologique, spirituelle qui structure traditionnellement la galaxie imaginée par Georges Lucas est ici passablement absente, au profit d’une épopée diablement syncrétique dans son récolement de tout ce qui façonne l’aventure flibustière et le coming of age.
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