Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Du Prisonnier du Caucase à Mongol, Sergei Bodrov filme l’Autre par-delà les stéréotypes, et interroge la nature du pouvoir.

Voici déjà six ans, Le Prisonnier du Caucase osait aborder la question des rapports entre soldats russes et « barbares » des marches de « l’empire » avec une ouverture d’esprit et une liberté de ton peu banales. Certains voulurent y voir un commentaire indirect du conflit en Tchéchénie.  » Je ne suis pas un cinéaste politique« , répondit Sergei Bodrov. C’est ce qu’il réaffirme aujourd’hui quand on lui demande si son nouveau film, le très spectaculaire Mongol ( voir notre critique en page 31), a quelque rapport avec certain leader russe…

Il n’en reste pas moins qu’une fois de plus, le cinéaste né en 1948 invite le spectateur à  » oser voir au-delà des stéréotypes« .  » Pour les Russes, Gengis Khan est le monstre absolu, explique-t-il, et pour les Mongols c’est une sorte de dieu. J’ai voulu éclairer sa trajectoire à la lumière d’une réalité humaine moins réductrice. Car ce conquérant réputé pour sa violence fut le premier à interdire la torture, et il laissa les peuples soumis à son empire pratiquer librement leurs religions respectives… »

PAS POUR PLAIRE AU KREMLIN

D’une belle facture placée sous la double influence de Kurosawa (pour les – stupéfiants – combats) et de Sergio Leone (pour le contraste du format large et des très gros plans), Mongol imagine un Gengis Khan éloigné des représentations caricaturales. L’icône du cinéma japonais contemporain, Tadanobu Asano, joue de formidable façon le chef de guerre qui mena, au XIIe siècle, ses troupes à l’assaut de vastes étendues.  » La Russie est tombée entre ses mains non pas parce qu’il était un cruel et invincible conquérant, mais bien en tout premier lieu parce qu’elle était faible, mûre pour la défaite. Si ce n’avait été lui, un autre aurait conquis cette Russie-là! » Bodrov aime aller contre l’opinion générale, et se veut libre de filmer sans servir qui que ce soit. Les accusations lancées par certains, et qui le soupçonnent d’avoir été aidé en haut lieu pour tourner un Mongol célébrant une figure de leader puissant et généreux (suivez le regard vers un certain Vladimir Poutine), paraissent bien injustes à un réalisateur qui s’est échiné, quatre années durant, à mener à bien un tournage en forme d’aventure incertaine.

FILMER SANS REMèDE

 » Ce fut très dur, et très fou, sourit le cinéaste russe, mais c’est toujours passionnant d’aller tester ses limites. Parfois je me demande si mon amour du cinéma n’est pas une maladie à laquelle il n’y aurait pas de remède… » Et Bodrov d’annoncer qu’il pense donner une suite à son dernier film, une suite où serait abordé non plus l’ascension vers le pouvoir de Gengis Khan, mais l’exercice de ce pouvoir une fois les grandes conquêtes opérées.  » La question du pouvoir, du leadership, se pose à nous avec une certaine urgence, commente-t-il, et elle ne peut se satisfaire de réponses simplistes. Notre liberté ne peut se définir que par rapport à la réalité du pouvoir, pas aux clichés – inquiétants ou rassurants – qu’il inspire le plus souvent… »

u Mongol, sur nos écrans à partir du 7/05.

LOUIS DANVERS

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