HP, un festival qui joue avec la diversité des corps en abolissant les frontières

Fabien Krestel transcrit la langue du corps et du mouvement dans The Labyrinth lors du festival HP. © Camille Blake
FocusVif.be Rédaction en ligne

Pendant trois week-ends, le festival HP (anciennement Hors Pistes) nous invite à explorer la diversité des corps et l’effacement des frontières entre les disciplines artistiques. Avec le corps comme alphabet et les récits humains comme grammaire.

Sur une toile blanche, des balles trempées dans l’encre et la peinture dessinent des traits, des points. Passant entre les mains et lancées sur la surface, elles tracent sous nos yeux des arcs, des points, des silhouettes étranges. Entre pointillisme abstrait et dripping à la Jackson Pollock. Ensuite, une branche d’arbre est maintenue en équilibre sur un stylo. Pour éviter qu’elle ne flanche, il faudra jouer de la gravité, jeu qui se traduira également sur le papier à travers une écriture inconnue jusqu’alors, le langage du corps. Pour sa performance lors du festival HP The Labyrinth, Fabian Krestel a conjugué plusieurs de ses activités favorites. Formé aux arts du cirque à l’École supérieure des arts du cirque à Bruxelles, c’est en danse contemporaine que l’artiste d’origine allemande a d’abord évolué. « Je me suis souvent posé la question: qu’est-ce que je voudrais faire seul? J’ai alors pensé à mes activités préférées: dessiner, jongler, jouer aux échecs, danser. J’ai donc imaginé pouvoir dessiner par les gestes de la jonglerie. Si j’adore danser pour les autres, il me manquait la liberté et l’expérimentation et aussi la sensation de pratiquer un art qui soit accessible à tous les publics. »

HP 24: du 27/11 au 14/12, aux Halles de Schaerbeek et six autres lieux de la région bruxelloise.

Des retrouvailles avec le cirque, discipline ouverte à tous sans nécessaire prérequis, apparurent ainsi nécessaires. Un cirque qui, par sa dramaturgie, sa narration, vient nourrir les imaginaires et faire émerger les émotions. Avec The Labyrinth, Fabian espère les faire naître aussi bien pendant la performance que lors d’une visite de l’exposition des œuvres issues du spectacle proposé lors du festival HP. Tous les dessins seront en effet accrochés dans l’espace de spectacle, pour inviter le public à une déambulation ludique et introspective dans un jardin d’images où chacun viendra projeter ses fantasmes et ses envies. Fabian n’impose aucune signification, sinon que ses dessins permettent à des mouvements éphémères, des gestes, d’atteindre une certaine permanence, visuelle et peut-être métaphysique. L’hybridité de The Labyrinth, à la fois expo et performance, vient ainsi faire œuvre de mémoire, corporelle en l’occurrence: « Garder une trace, oui, pointe-t-il. On l’oublie souvent: un bébé qui parvient à marcher pour la première fois, c’est grâce à la répétition d’un même geste que se produit ce miracle humain. The Labyrinth traduit en quelque sorte les schémas d’apprentissage. » Et une notion de risque aussi? « Un jongleur ne prend pas vraiment de risque avec son corps, de risque de mort. Ici, c’est le jeu qui amène ce qu’on pourrait appeler un « risque ». La jonglerie me donne beaucoup de libertés et aussi d’imperfections que je trouve jolies. »

Célébrer tous les corps

Armour, un corps-à-corps viril à la recherche d’une nouvelle masculinité. © Florian Hetz

C’est dans la très belle salle des cuves du Brass, à Forest, que l’on pourra admirer les jolies et intrigantes « imperfections » graphiques de Fabian Krestel. The Labyrinth s’inscrit dans la programmation de HP 24, festival qui, sous l’égide des Halles de Schaerbeek, déploie une quinzaine de spectacles dans la capitale et qui entend explorer des arts du cirque dépassant les clichés du genre, titillant la performance, la danse, l’humour, le concert (à l’instar des Finlandais de Muovipussi).

Qu’on ne s’y trompe pas: l’idée d’une nouvelle conception du cirque comme art de la scène complet ne misant pas tout sur la seule démonstration corporelle n’est pas neuve. Depuis une trentaine d’années, les circassiens mettent leur force et leur virtuosité au service de récits inscrits dans le monde. Pour preuve de cette recherche aujourd’hui permanente, le festival biennal Hors Pistes, qui depuis presque trois décennies se veut vitrine d’un cirque dit contemporain. Directeur du temple artistique schaerbeekois depuis début 2023, Matthieu Goeury a souhaité maintenir ce rendez-vous en le réduisant certes à ses initiales mais pour le pousser encore plus loin dans l’éclatement des frontières disciplinaires. Matériau de base, le corps demeure comme alphabet mais la grammaire, elle, se densifie. « Dans les spectacles que nous présentons, le corps ne se conçoit plus comme quelque chose d’uniquement fonctionnel, explique-t-il. Ce qui m’intéresse pour HP c’est comment aller au-delà de la technique. »

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Un désir que poursuit aussi Arno Ferrera, artiste associé aux Halles et co-programmateur du festival. Le performeur et metteur en scène poursuit dans sa création Armour, un trio de corps-à-corps viril conçu avec Gilles Polet, la découverte d’une nouvelle masculinité. « On va parler du corps, même des corps. Des corps âgés, des corps agiles, des corps trans, des corps masculins, féminins, queer, énumère Matthieu Goeury citant en exemple de cette diversité les performances Dos de Delgado Fuchs ou Cavaliers impurs d’Antonia Baehr et Latifa Laâbissi, parmi d’autres. Le spectacle de Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan Les Gros patinent bien, élu meilleur spectacle de théâtre public aux Molières 2022, renouvelle, lui, la figure du clown et constitue sans doute la proposition la plus grand public d’un événement biennal qui entend refléter toutes les communautés. « Je souhaitais transformer le festival en lui redonnant une dynamique, de festival justement, en provoquant un croisement d’artistes qui n’ont pas forcément l’occasion ou l’endroit pour se rencontrer et inviter le public à voir des pièces très diverses sur trois week-ends. Pour la première édition, nous avons tenu à garder une programmation assez large, qui peut-être se resserrera dans le futur. » Et de faire voyager les spectateurs en région bruxelloise, sept lieux accueillant les performances. « On a la chance d’avoir un outil unique avec cette grande halle, conçue pour être un marché. On peut y accueillir les projets d’autres institutions qui n’ont pas forcément la capacité d’accueil nécessaire. » Et aussi mettre en lumière les plus petites formes qui trouvent dans des espaces plus réduits le parfait écrin. « En cela, c’est aussi un enjeu politique, insiste Matthieu Goeury. Tout nous tire aujourd’hui à faire des choses individuellement. Mais si on vient au spectacle, c’est déjà pour vivre des choses en commun. »

Nicolas Naizy

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