Einstein on the Beach (1976): comment la physique quantique a révolutionné l’opéra

Avec Einstein on the Beach en 1976, Philip Glass et Bob Wilson secouaient fondamentalement l’opéra.

Fin juillet 1976, à Avignon, l’expérience de Glass et Wilson change la face de l’opéra dans une société bouleversée par les progrès technologiques fondés sur la physique quantique, science dont on fête cette année le centenaire.

A l’échelle des particules, Newton n’y voit plus rien. L’explication des forces régissant l’infiniment petit est le domaine d’une branche de la recherche que Max Planck et Albert Einstein commencent à développer dans le premier quart du XXe siècle avant que Schrödinger et consorts bâtissent, il y a 100 ans, un système mathématique encore en usage aujourd’hui. L’Unesco saisit l’anniversaire pour proclamer 2025 «Année internationale des sciences et technologies quantiques». C’est que les avancées dérivant de près ou de loin de certains travaux de l’auteur d’E = mc2 équipent le monde dans lequel nous vivons. Sans elles, pas de téléphone portable, d’ordinateur, de photovoltaïque. Vingt ans après sa mort, le savant se trouve aussi au centre d’une révolution lyrique et théâtrale ouvrant de nouveaux horizons à la création contemporaine.

Coconçu avec Robert Wilson, dramaturge rencontré en 1973 alors que Philip Glass assistait aux douze heures du spectacle The Life and Times of Joseph Stalin qu’il réglait à Brooklyn, Einstein on the Beach ouvre le catalogue lyrique d’un musicien abordant l’écriture comme une équation mathématique. Pour l’œuvre d’art totale dont rêvent ces visionnaires, il faut un personnage connu d’un public auquel il appartient de donner un sens à l’ensemble en y projetant ce qu’il sait du sujet –idée prise à Beckett. Le compositeur propose Ghandi, son compère suggère Hitler, les deux tranchent pour Einstein. Si le «livret» fait de suites de chiffres, de notes de musique et de textes d’origines diverses se passe de narratif, la pièce joue de symboles que chacun associe à la vie ou aux théories du physicien (train, horloges, violon, vaisseau spatial…). Surtout, les artistes repensent l’espace et dilatent le temps du théâtre.

Tout comme la physique quantique répond à des lois contre-intuitives, l’opéra défie l’entendement du mélomane.

L’espace: Wilson dessine architectures et perspectives, Glass compose d’après croquis. Le temps: au terme de répétitions morcelées, Phil et Bob découvrent la véritable durée de leurs quatre actes et cinq interludes le soir de la première. Presque cinq heures sans pause au cours desquelles le public peut aller et venir comme bon lui semble. La partition? Tout comme la physique quantique répond à quelques lois contre-intuitives –prenez «l’effet tunnel» permettant à certaines particules de passer au travers de barrières qu’elles devraient normalement contourner, objet des travaux des prix Nobel de physique 2025–, l’opéra défie l’entendement du mélomane. Loin des canons habituels, il ouvre à un théâtre d’une modernité hypnotique, robotique, géométrique, au son de notes marquant un tournant dans la carrière de leur auteur. «Elles sont l’aboutissement d’idées que je développais depuis ma collaboration avec Ravi Shankar en 1964, combinant structure rythmique et structure harmonique en une entité cohérente», note Philip Glass.

En résulte une esthétique répétitive où tout va vite en surface sans que rien ou presque n’évolue en profondeur. Minimalisme comme un pied de nez à l’avant-garde savante européenne si préoccupée de spéculations dissonantes qu’elle s’en trouve «coupée de son auditoire populaire», affirme encore le compositeur. L’Américain, qui voit son langage comme une préfiguration de l’informatique, ne manque pas de souligner qu’il permit à «plusieurs générations de développer, sur cette base, des styles extrêmement personnels [et] à la génération d’aujourd’hui de cohabiter confortablement dans un nouvel univers musical autorisant les moyens d’expression les plus divers». Et puisque les préoccupations de 1976 –apocalypse nucléaire, course à l’espace, besoin de repères intellectuels…– inquiètent encore 2025, aube de la deuxième révolution quantique, Einstein on the Beach reste actuel.

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