On purge bébé!: une «cacaphonie» posthume signée Philippe Boesmans
La Monnaie met en scène On purge bébé !, l’œuvre inachevée de l’espiègle compositeur belge Philippe Boesmans, décédé au printemps dernier. Émouvant, kitsch, drôle et éminemment scatologique.
Dans une chambre rose dont les murs s’écartent comme les parois d’une ampoule anale fortement dilatée, Julie, la mère de Toto, trépigne: «Le petit n’a pas été, ce matin…» «Où ça?», demande distraitement le père, absorbé par la conclusion imminente d’une commande faramineuse de 300 000 pots de chambre brevetés incassables -il est fabricant de porcelaine. Mais Bébé n’a pas été à selles, et l’absence de cette grosse commission menace de merdoiement total la signature du contrat. Parenthèse et rappel obligé, pour tous ceux que la fonction excrémentielle obsède: un humain au transit intestinal normal pouvant se contenter d’un seul caca deux fois par semaine, le recours aux laxatifs se révèle souvent superflu. Mais, dans l’esprit de beaucoup, la constipation rend fou. Et folle, Julie Follavoine (la soprano Jodie Devos, délicieusement speedée) l’est sans aucun doute, génitrice souffrant du syndrome de Münchhausen par procuration, qui consiste à inventer des tares à sa progéniture, juste pour se rendre intéressante.
Le grand corps malade de la bourgeoisie
C’est clair, cette comédie qui vire au cauchemar, dont s’est saisi Philippe Boesmans en 2017 déjà, avant de mourir, en avril dernier, à 86 ans (Benoît Mernier a terminé la partition), ne lâche pas son sujet coprophile. À grand renfort de PQ déroulé et de pschitt de désodorisant, voilà une farce tirée du vaudeville On purge bébé! (créé en 1910) de Georges Feydeau qui, par l’entremise d’un examen approfondi du couple et de ses chicanes, assimilait la cellule familiale à un grand corps malade -une métaphore de la société bourgeoise d’alors, bête, prétentieuse et de très mauvaise foi.
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Boesmans, éternel boute-en-train, avait promis une bonne tranche de rire avant de tirer sa révérence. Il a tenu promesse. On l’imagine glousser en insérant dans son drame petits pas dansés de gambettes poilues et citations irrévérencieuses, réglant ses comptes à Wagner, lorsqu’un Bastien Follavoine obséquieux (le baryton français Jean-Sébastien Bou) lève son pisspot tel un réceptacle sacré sur le thème du Graal. Joué (rôle parlé) par un échalas d’au moins deux mètres (le comédien suisse Tibor Ockenfels), Toto symbolise autant l’enfant surinvesti qu’abandonné, deux maux très actuels. Au pupitre, le chef d’orchestre Bassem Akiki s’en donne à cœur joie. Et le public aussi, ravi d’apprendre qu’on puisse autant faire le pitre sur une matière si dure -ses précieuses, rares et désolantes misères de cabinet.
On purge bébé!, à la Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 29 décembre.
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