Sadek, rappeur droit au coeur

Sadek, rappeur nature-peinture. © FIFOU
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts, et failli ruiner sa carrière, Sadek revient au rap, plus posé mais le verbe toujours aussi affûté, riche de ses contradictions. Entretien.

Trente-et-une. On a compté. Tout au long de son dernier album, Sadek répète à 31 reprises la phrase qui lui sert également de titre, « Aimons-nous vivants« . Conviction intime ou autopersuasion? Ou, plus improbable encore, hommage caché à François Valéry, auteur du tube top 50 qui a popularisé le mantra, à la fin des années 80? « C’est nous, les people/C’est fini, la variét« , rigole d’ailleurs Sadek sur le titre Kimono. Il le fait en compagnie de ses collègues SCH et Ninho, deux des plus gros vendeurs du moment en France… On s’amuse à imaginer le trio réuni sur un plateau pour une séquence télé seventies façon Maritie & Gilbert Carpentier. Sadek serait alors très à l’aise dans le rôle de Daniel Balavoine. La même grande gueule, la même absence de filtre. À la scène comme à la ville. « Nature-peinture! »

Sadek est bel et bien une star. Mieux: un « personnage », qui a rapidement fait sa place sur la scène rap hexagonale, rimeur gouailleur, maîtrisant la technique et l’art de la vanne bien tapée. Cette tchatche l’a même amené à faire ses premiers pas au cinéma. En 2016, il se retrouve à l’affiche de Tour de France, de Rachid Djaïdani, dans lequel il donne la réplique à Gérard Depardieu. À l’écran, la relation entre l’actor imperator et le novice passe crème. Pas étonnant: à une génération d’écart, le rappeur « déborde » de la même manière, brûlant volontiers la chandelle par les deux bouts. Né en 1991, d’un père tunisien et d’une mère russe, Sadek Bourguiba l’explique facilement. « Quand j’avais 18, 19 ans, j’étais en double obésité morbide. Je pesais 198 kilos. J’ai traversé l’adolescence dans la solitude la plus totale. Quand j’ai maigri, j’ai perdu 90 kilos en six mois. Tout à coup, je découvrais un nouveau corps. Alors, je me suis dit que je devais en profiter et rattraper le temps perdu, en vivant le plus intensément possible. »

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Résultat, Sadek réfléchit mais ne calcule pas trop. Il trace. Quitte à se prendre une gamelle. En 2018, il publie Johnny de Janeiro, tentative bancale de marier rap FR et funk carioca. Sur la pochette, il apparaît en chanteur de charme, les cheveux au vent. L’album fait « un… flop« . Pour rectifier le tir, le Parisien va alors relancer sa série de freestyles Roulette russe. « Je voulais montrer que ce n’est pas parce que je tentais des choses que j’avais perdu mon mojo. » Son nouveau projet le confirme. Plus posé, Aimons-nous vivants contient quelques-uns des morceaux les plus forts du rappeur. Il a pourtant bien failli ne jamais voir le jour…

Frasques

Le 11 février 2020, Sadek descend jusqu’à Vénissieux, dans la banlieue de Lyon, pour agresser le blogueur Bassem Braïki, avec lequel il s’embrouille depuis un moment sur les réseaux. L’expédition punitive est filmée et diffusée sur le Net. Dès le lendemain, Sadek explique regretter son geste. Il est rapidement arrêté et passe un mois et demi en prison. Pour le rappeur, c’est clair, sa carrière est alors terminée. Un peu plus d’an plus tard, il est pourtant toujours là. Sur Aller-retour, il raconte: « Dans ma khapta phénoménale, j’ai fini au tribunal. » « Ce n’est pas quelque chose dont je suis fier. Quand je suis sorti de prison, j’ai vraiment compris: OK, j’ai obtenu vengeance, mais au final, est-ce que je me sens vraiment mieux? Aujourd’hui, je réalise à quel point j’ai de la chance de pouvoir m’exprimer à travers ma musique. À partir de là, quel message je veux vraiment transmettre? Je suis aussi devenu père. Je suis en train de quitter ma vie d’avant. Celle où, dès que je me réveillais, je sortais faire la fête. Aujourd’hui, mon quotidien est plus stable. »

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Sans jouer forcément la carte de l' »album de la rédemption », Aimons-nous vivants se veut donc plus positif. Le quartier sert toujours de décor principal. Mais avec la volonté d’alerter les gamins sur les dérives de la « rue ». « Je l’ai arpentée dans tous les sens et y ai pratiqué à peu près toutes les branches de l’illégalité -les jeux clandestins, la drogue, les arnaques, la prostitution, etc. Quoiqu’il arrive, même quand tu peux parfois avoir l’impression de vivre un truc à la Robin des Bois, ça finit toujours mal. »

Toujours sur Aller-retour, il explique encore: « Ce que j’ai fait de mal me suit, et à cause de ça, je passe à la télé. » Cette fois cependant, c’est pour de meilleures raisons qu’il fait le tour des médias, y compris BFM TV! « Oui, incroyable! Après, je comprends que plein de gens nous détestent. On ne leur montre souvent que les pires côtés. C’est aussi un peu de notre faute. J’ai toujours donné des coups de main dans l’associatif, mais sans le crier sur tous les toits. Aujourd’hui, j’ai un peu évolué sur la question. Parce que j’ai davantage confiance en moi, que je sais pourquoi je le fais, je n’hésite plus à dire et montrer les actions qu’il y a moyen de mettre en place. Que ce soit pour soutenir par exemple la Palestine, ou m’intéresser à la situation en Colombie ou à la discrimination des transgenres au Brésil, etc. »

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Sadek n’est pas devenu l’abbé Pierre pour autant. Trop frondeur et chien fou pour ça. Le rappeur a bien appris à canaliser ses démons. Et, régulièrement, il insiste pour privilégier le débat -« Hier, j’ai posté une vidéo pour commenter ce qui se passe au Proche-Orient. Et depuis je passe mon temps à répondre en DM pour expliquer que je ne suis pas contre les Juifs, mais contre les dérives de l’État d’Israël. Pas grave, c’est en discutant qu’on fera avancer les choses. » Pour autant, Sadek est trop lucide que pour croire aveuglément que tout va aller mieux -« Je ne me demande plus qui sera le prochain Zidane/Mais qui sera le prochain George Floyd » (La Source). Trop plein de contradictions aussi que pour faire lui-même la morale -« Je ne serai jamais un modèle » (Scottie Pippen). Au fond, c’est aussi ce qui le rend attachant, compliqué à aimer, impossible à détester. « Aujourd’hui, je veux surtout faire en sorte que mon fils n’emporte pas avec lui toute la haine que j’ai pu connaître en grandissant« …

Sadek, Aimons-nous vivants, distribué par REC 118/Warner. ***(*)

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