Critique | Musique

Rodolphe Coster : « Je voulais un album avec des profondeurs de champ »

4 / 5
“J’avais des parents pour qui Martin Luther King était l’une des personnes les plus importantes de l’humanité. Puis, j’ai étudié chez les Jésuites. Il y a un truc d’hypersensibilité. Mais je fais attention de ne pas trop m’emballer.” © nicolas michaux
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Album - High With The People

Artiste - Rodolphe Coster

Genre - Rock

Label - Capitane Records

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Pilier activiste de l’underground bruxellois, Rodolphe Coster sort à 46 ans un premier album sous son nom. Portrait d’un mélomane à fleur de peau.

Un petit appartement saint-gillois à deux pas de la maison communale. Il fait un peu froid. Le chauffage est en panne. Mais Rodolphe Coster a préparé du café, sorti le chocolat et les biscuits. Rodolphe accueille chez lui. Il y a des disques partout. Des cassettes et des bouquins. Puis aussi des œuvres avec une histoire accrochées aux murs. Des petites toiles qu’il a trouvées dans la rue, et la peinture qui sert de pochette au premier album des Tindersticks, achetée pour 5 euros dans les Marolles.

Le Bruxellois d’adoption a préparé deux piles de vinyles sur la table du salon. L’une avec les disques qu’il a le plus écoutés cette année: Skinty Fia de Fontaines D.C., De Ambassade, le dernier Boris, Imarhan, HTRK, Wu-Lu. L’autre avec des plaques qui ont marqué High with the People, le premier album qu’il sort sous son nom: Middle Class Revolt de The Fall, It’s a Wonderful Life de Sparklehorse et Loveless de My Bloody Valentine. Unknown Pleasures de Joy Division, la B.O. de Ghost Dog et l’album à la banane du Velvet… “Je voulais mélanger Return to Cookie Mountain de TV on the Radio à The Good Son de Nick Cave et au Souvlaki de Slowdive, résume-t-il. Plus que des intentions, c’était des intuitions, des couleurs que je voulais approcher. Parce que je savais que les choses allaient m’échapper. Je voulais un album avec des profondeurs de champ. Un album cinématographique. Créer un monde, un univers. Il est tumultueux mais jamais rêche. On peut y habiter.

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Il y a aussi du Cocteau Twins et du Horrors période Primary Colours, presque un côté art brut (les cris de Gilles Memory) dans ces sept chansons enregistrées en cinq jours à Brooklyn au Studio G. High with the People a demandé dix ans de gestation. Dix ans depuis qu’Andy Moore de The Ex a recommandé la musique de Rodolphe pour un spectacle de danse de sa femme et lui a conseillé de se lancer en solo. Dix ans pour que ce disque sonne vrai à tout instant.

Seagulls Fly on Highways parle d’apocalypse naturelle, de fin du monde et de mouettes qui tombent sur l’autoroute. Derlish évoque la relation à son père, décédé alors qu’il n’avait que 18 ans. Dolls Their Maps est une chanson d’amour inspirée par L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais. Gilles Memory a été écrit en hommage à un copain qui vivait au Japon, mort dans les attentats bruxellois du 22 mars. Dogstroke est consacré à la guerre. My Dear Hidden Krauty est une mise en transe du locuteur, une possession. L’autre en soi-même. Là où Burglar Blames Shadows, qu’il compte adapter en film, traite de dépression à travers la métaphore du cambriolage. S’y croisent le producteur Matt Jones du groupe Male Gaze (cofondateur du label Castle Face avec John Dwyer), le saxophoniste de Sunwatchers Jeff Tobias, la violoniste Atsuko Hatano qui bosse notamment avec Jim O’Rourke, ou encore Sarah Register (Talk Normal) et Maya Postepski, qui a joué de la batterie pour Austra et The Organ…

© National

Combat rock

Né en 1976 à Leuven de parents hutois partis après l’université s’installer à la campagne dans une ferme rose avec des chèvres où sa mère peignait des aquarelles (“le moment un peu hippie dans l’histoire de notre famille”), Rodolphe Coster est un enfant de psy. Son père était témoin au mariage de France Brel. Et si Rodolphe était davantage branché Brassens et Ferré, il a accompagné Jean Corti, l’accordéoniste du grand Jacques, lors des festivités. Rod a commencé le violon à 6 ans, après avoir vu Yehudi Menuhin à la télévision. Il en joue encore parfois. Comme sur son remix de La Jungle… La basse est entrée vers 13-14 ans dans sa vie, à cause du She’s in Parties de Bauhaus. Grâce au voisin d’un pote, il découvre la new wave: Depeche Mode, The Cure… “J’avais un poster de Love Will Tear Us Apart. Si bien qu’un jour, le médecin de famille est sorti de ma chambre toute bordélique en demandant si je n’étais pas dépressif…” Il y a MTV aussi. L’émission 120 minutes et les clips qu’on se raconte à l’école le lundi. Puis surtout Perfecto et la communauté qui se crée autour. “Philippe Gauthier (son animateur, NDLR) était sociologue. Il avait pensé une émission avec de la bonne musique et de l’interaction à travers l’utilisation d’un répondeur téléphonique. C’est un peu ce que fait Facebook aujourd’hui. Tu appelais et tu laissais un message. À l’époque, j’étais très actif à l’extrême gauche.

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Rodolphe a vécu plein de vies et mené une tonne de combats. Il a commencé la philo à Saint-Louis et étudié la mise en scène à l’INSAS. Il a connu les heures de gloire de la scène pop rock belge avec Flexa Lyndo et a composé pour la danse, le théâtre, les arts plastiques, le multimédia. “On a même fait un film avec Jane Birkin.” Il a participé à une flopée de projets (Baum, Poni, Cafeneon) et même programmé pendant dix ans des concerts au Chaff. Il parle de son rapport à la rue, raconte son combat pour sauver la place du Jeu de Balle dans les Marolles. “Ce n’était plus arrivé depuis les années 60 que des citoyens gagnent une lutte comme celle-là. J’ai cherché d’autres combats. Comme un camé en manque. Avant de me dire: c’est bon, arrête ton cinéma. C’est grisant mais ça pompe beaucoup d’énergie. Derrière, c’était soit le cimetière, soit l’hôpital psychiatrique.”

Rodolphe a rencontré de gros problèmes d’alcoolisme, dont il a réussi à s’extirper. “Il y a le milieu, des antécédents familiaux, des fantaisies, un désir d’enivrement constant. J’ai foncé droit dans le mur. Sans m’en rendre compte, je pense que j’ai été alcoolique pendant 23 ans.” Aujourd’hui, il fait du bénévolat dans un lieu de lien, au Delta. Il est expert en vécu dans des groupes de parole. Tandis qu’il raconte sa vie, retrace sa carrière, ses yeux brillent. Son sourire émerge. Il semble revivre tous ces moments intensément. “Mon père a vécu sa vie à fond. Mais j’ai aussi hérité de son côté plus sombre. Parce que c’était un grand mélancolique. Le fait de vivre à fond de balle et de se retrouver torpillé par des questions existentielles.” Si sa musique n’est pas directement politique, le titre de son album est un clin d’œil au Black Panther Fred Hampton. “Il a été beaucoup plus vite que les autres sur des questions de transversalité, de collectivisation, de mutuelle, de soin, d’éducation. Et il s’est fait buter à 21 ans…

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