Depuis Presley hypnotisant la jeunesse américaine à l’Ed Sullivan Show en 1956, la télévision est indissociable de grands moments rock, aujourd’hui restitués par le DVD et YouTube.

Le rêve américain

Entre le 9 septembre 1956 et le 6 janvier 1957 pour un cachet record de 50 000 dollars, le jeune Elvis Presley va chanter et faire flamber à trois reprises le taux d’audience de l’ Ed Sullivan Show sur CBS. Au-delà de l’extravagance des chiffres – 60 millions de spectateurs et 82,6 % d’audimat pour son passage du 28 octobre 1956 -, Presley vient de confirmer la suprématie absolue de la télévision en matière de traitement de l’histoire immédiate. Le petit écran US n’a pas vingt ans, Presley à peine plus, et ce couple-là signe un rapport fait de suspicion mutuelle. Et pour cause: à son troisième passage à l’ Ed Sullivan Show, début 1957, Elvis est cadré exclusivement au-dessus de la taille! Les censeurs de CBS ont craqué devant la majorité conservatrice secouée par le jeu de jambes du Pelvis chantant. Elvis prend une revanche éclatante onze ans plus tard via son Comeback Special diffusé en décembre 1968 sur NBC. On l’y voit en cuir noir pur sexe, non amputé de sa moitié inférieure. Son troisième coup de maître vient en janvier 1973, lorsque le concert Aloha From Hawaii retransmis en direct dans dix pays et en différé dans trente autres, attire au total un milliard de téléspectateurs (…). Entre ces trois dates, la force culturelle et économique du rock engendre aux Etats-Unis un imposant catalogue de shows télés dont les plus célèbres sont American Bandstand, Soul Train, Johnny Cash Show,Dick Cavett Show.

Hendrix à l’Etang des Enfants noyés

Pendant une partie des années soixante, la RTB (pas encore F) se contente de racheter des émissions américaines, telles que Shindig ou Hullabaloo. Les premières productions propres sont signées Pierre Meyer qui crée Vibrato (janvier 1967-juin 1969), où défilent – en play-back – des nouvelles institutions pop telles que les Kinks ou Jimi Hendrix!  » On utilisait la technique Averty (1), des tournages très découpés généralement filmés en studio avec des exceptions comme les Kinks dans la neige ou Hendrix aux Etangs des Enfants Noyés à Woluwe », explique Pierre Meyer . Epoque de délicieuse candeur où les Anglais font swinguer le rock avec des hit-parades façon Ready, Steady, Go puis Top Of The Tops, cette dernière n’arrêtant sa course qu’en 2006! Et puis, Tante BBC crée une émission live, d’emblée mythique par son décor archi-dénudé et son présentateur à l’allure d’écureuil chuchoteur, « Whispering Bob Harris »: The Old Grey Whistle Test. Le programme dure seize ans, de 1971 à 1987, et embrasse les prestations essentielles de Bowie/Ziggy (1972), des Wailers originaux alors inconnus (1973) ou de New York Dolls magnifiquement hirsutes (1973). Tout cela sera avalé par les années punks et la « prestation scandaleuse » des Sex Pistols sur un plateau de la télévision anglaise en décembre 1976 en compagnie de Bill Grundy ( voir le Top 5 YouTube en page 22).

Se consoler avec Avro’s Top Pop

Le choc culturel est réel, mais nous échappe à nous Belges, ignorants de ces délices d’outre-Manche jusqu’à la câblodistribution des années 90. Le teenager belge des années 70/80 doit donc se contenter du néerlandais Avro’s Top Pop, où il peut avoir un David Bowie avec bandeau pirate (1974) ou, la même année, des Sparks dévorant le tube mondial This Town Ain’t Big Enough For Both Us. Retour à la case ertébéenne qui, le temps de deux émissions, Pop Shop (octobre 1970-juin 1973) et Folllies (septembre 1973-mai 1981), va filmer live nombre de groupes importants, de Roxy Music à Lou Reed (avec castagne générale entre les roadies du fantôme et les technos ertébéens), de Family à Van Der Graaf Generator. Sans oublier le mythique tournage en studio début 1972 d’un Genesis au sommet de sa petergabrielisation. « J’ai senti peu à peu le glissement, explique Michel Perrin, réalisateur à Pop-Shop et Folllies . Au début, la RTBF assurait elle-même la prise de son live, genre huit micros sur la batterie, puis on est passé au branchement sur la console du groupe et on a terminé en play-back, le groupe voulant de plus en plus contrôler le son comme l’image. » N’empêche que la RTBF s’offre une période de gloire supplémentaire avec Ligne-rock (janvier 1979-novembre 1980) où le studio du boulevard Reyers accueille un jeune public qui peut voir – à l’£il et en vrai live – toute la génération anglaise montante, entre autres Magazine, Siouxsie & The Banshees, The Cure, Simple Minds, Wire, UB40, The Specials et les Belges Jo Lemaire, Klang ou Machiavel. Un peu après, dès l’automne 1985, le plus arty Cargo de Nuit teste la culture au-delà du rock. Bientôt suivi par deux émissions s£urs: Intérieur Nuit et Félix. L’occasion de découvrir les premières prestations belges des Red Hot Chili Peppers, La Mano Negra, Jeff Buckley, Sheryl Crow, Beck, Ben Harper, les Négresses Vertes ou… Nirvana dans des conditions à la fois techniques – tournage en 16mm – et intimes, difficiles à imaginer dans les actuelles relations télé/maisons de disques strictement commerciales. L’époque est prolifique puisque le câble nous donne enfin l’occasion d’apprécier les bons produits français que sont Chorus, puis Les Enfants du rock et Rapido, toutes émis-sions menées par la personnalitégouailleuse d’Antoine de Caunes. Mais le véritable bouleversement est l’arrivée de MTV le 1er août 1981 aux Etats-Unis qui change l’esthétique rock, désormais calée sur le clip – cadrages basculés, montage rapide, épidémie de gimmicks visuels – et se planétise rapidement jusqu’à toucher aujourd’hui 171 pays selon des formules adaptées aux territoires visés. MTV formate des nouveautés comme son Unplugged qui engendre CD et DVD, créant l’histoire à une occasion au moins, via l’incandescent Unplugged In New York de Nirvana sorti en novembre 1994. Depuis lors, la profusion des chaînes spécialisées et l’ascension d’Internet ont reposé la question de la représentation rock sur le petit écran. Mais il n’est pas sûr qu’on retrouve un jour les sensations d’un glorieux passé. La télé a changé, le rock tout autant.

(1) Jean-Christophe Averty, brillant et caractériel réalisateur français, a révolutionné la mise en image de la musique à la télévision.

Texte Philippe Cornet

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