Roberto Bolaño, le poète disparu
CHRONIQUES | Il exerça tous les métiers du monde, volait des bouquins dans les librairies, disait rougir moins de sa poésie que de ses romans. Bolaño est mort, on ne s’en remet pas.
Roberto Bolaño, Entre parenthèses, éditions Bourgois, 486 pages. *****
Grandes lunettes tombantes, visage tiré, cheveux emmêlés, clope invariablement roulée entre 2 doigts, Bolaño nous contemple avec un impossible mélange d’acuité et de désinvolture. Une image glacée qui va bien à celui dont la découverte en français, avec 10 ans de retard, se doublait presque aussitôt d’une excavation. Débarqués en traduction début des années 2000, les livres du génie chilien foutent une double claque, par leur force d’abord, par l’annonce de la mort prématurée de leur auteur à tout juste 50 ans ensuite. Et de nous laisser avec son encombrante dépouille sur les bras, à devoir porter le deuil immense d’une oeuvre dont on ne mesure pas même encore toute l’ampleur, qui continue à délivrer des inédits au compte-goutte. Dont cet Entre Parenthèses qui nous parvient aujourd’hui, magnifique, inespéré recueil posthume qui nous invite à tout cet arrière-pays, cette bouillonnante activité d’essayiste que Bolaño menait à côté de sa fiction, « entre parenthèses » de son écriture. Des textes de conférences, prologues et articles publiés aux 4 coins de la presse hispano-américaine sur une courte période multiplient les entrées dans l’univers d’un écrivain qui balayait toute idée de mémoires d’un revers de jolie image absurde: « Je n’ai rien contre les autobiographies, à la seule et suffisante condition que celle qui l’écrive ait été une pute et qu’elle soit modérément riche, la vieillesse venue. » L’auteur des Détectives sauvages ne sera pas de ces poètes qui s’étalent sur leurs petites vies, soit. Mais il se dessine tout autant sinon plus à travers ces brèves interventions mises bout à bout. D’emblée, tout nous y retient, captifs: de ses discours sur Burroughs à son indéfectible admiration pour Cortázar, des anecdotes les plus rachitiques à ses dialogues avec les corbeaux qui occupent la tombe de Borges, des vapeurs quasi fantastiques d’une plage en juillet à ses chroniques obscures de poésies andalouses de fond de tiroir. Celui qui avouait être plus heureux en lisant qu’en écrivant aborde chacune de ses notices avec une générosité incroyable et taille ses chutes avec un sens de l’ellipse et de la fulgurance éblouissant.
Littérature dangereuse
L’intensité du recueil atteint des sommets quand Bolaño livre à découvert ses visions de l’écriture, loue la valeur banalisée du courage, expose son rejet violent de l’exil en littérature. Concourant à une conception viscérale de la littérature comme une mise à mort, une urgence vitale de flirter avec l’abîme, sans protection. « Savoir mettre la tête dans l’obscur, savoir sauter dans le vide, savoir que la littérature, fondamentalement, est un métier dangereux. Courir au bord du précipice (…) » Cette même littérature qui, de fait et ironiquement, fit souvent oublier de soigner un foie boîteux à celui qui déclarait, prophétique: « Tout ce que j’ai écrit est une lettre d’amour ou d’adieu à ma propre génération. » Un courrier qui n’en finit pas de délivrer son message, sidérant, brûlant, monumental.
Ysaline Parisis
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