Rhye: « on a la volonté de produire l’émotion la plus pure possible »
Entouré de mystère, le duo Rhye sort enfin du bois avec le classieux Woman. Un premier album amoureux et intimiste, loin des traditionnelles fanfaronnades R’n’B.
Rhye, Woman, Innovatie Leisure/Universal.
L’histoire démarre par un long plan-séquence. Devant la caméra, dans une semi-obscurité, une silhouette souffle un piano-voix délicat. Face à elle, éclairée par une bougie, une fille écoute amoureusement, assise en tailleur sur le sol du salon. L’extrait dure 2’44, et c’est assez pour remuer jusqu’aux plus blasés des palpitants. La vidéo intimiste d’Open a été postée sur YouTube il y a déjà plus d’un an. L’album n’arrive cependant qu’aujourd’hui, et avec lui les premiers éléments concrets sur l’identité de ceux qui se cachent derrière Rhye.
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C’est que le flou a longtemps plané sur le groupe. Pas de photo promo, ni d’apparition dans les clips. Un véritable omni, objet musical non identifié, entre soul ouatée et crooning précieux. Récemment encore, filmé pour la Web TV de la Boiler Room, Rhye jouait ses morceaux dans la pénombre. Pas moyen de mettre un visage sur la chanteuse à la voix incroyablement voluptueuse et charnelle. Jusqu’à ce que le masque tombe enfin: la chanteuse de Rhye est en fait un… chanteur. Son nom: Mike Milosh, moitié de ce qui consiste en un duo, complété par Robin « Hannibal » Braun. Rencontré juste avant leur concert de la semaine dernière au Botanique bruxellois, ce dernier sourit: « Je comprends la confusion. En même temps, Alexis Taylor des Hot Chip, par exemple, possède aussi ce même velours féminin dans la voix. Et quelqu’un comme Thom Yorke chante encore plus dans les aigus. »
Soul food
En évitant l’exposition et en préférant jouer la discrétion, Rhye a en tout cas bien réussi son coup. « Il n’y a pourtant aucune stratégie là-dessous. Et certainement aucune volonté de jouer le mystère ou de maintenir une distance. Ce soir, après le concert, on sera d’ailleurs là, derrière le stand de merchandising pour signer des disques ou discuter avec tout le monde. Le but, c’était vraiment que l’on puisse rester concentré sur la musique, la seule chose qui compte en définitive. »
Il n’y a effectivement rien de hautain, ni la moindre trace d’autisme dans l’attitude de Robin Braun. Le producteur a au contraire la bonne humeur et le sourire contagieux. Quelques minutes auparavant, DJ Lefto est venu le saluer. « Il nous a soutenus dès le départ, déjà avec nos groupes précédents. »
Milosh et Braun ne sont en effet pas des nouveaux venus. Le premier, canadien, a déjà sorti trois albums sous son nom. Le second est un producteur norvégien, aux multiples projets électro-soul (comme Quadron ou Boom Clap Bachelors, samplé notamment par le rappeur Kendrick Lamar sur son Bitch Don’t Kill My Vibe). Il y a un peu plus de deux ans, Robin Braun proposait à Mike Milosh de remixer un titre de Quadron. La sauce a pris instantanément. « Ce qui nous réunit, c’est une même idée musicale, la volonté de produire l’émotion la plus pure possible. » De fait, Woman, l’album sorti ces jours-ci, dégage une sensibilité à fleur de peau, régulièrement désarmante. Avec ce paradoxe: aussi sensuelle et intimiste soit-elle, la pop de Rhye est également hyper-léchée. « On n’est pas du genre à pondre 50 chansons. Aujourd’hui c’est très facile de fabriquer un morceau et de le balancer aussi vite. Nous, on préfère creuser chaque titre, y passer du temps en espérant qu’il puisse exister dans la durée. Pour Woman, on a bossé sur 10 chansons. Les 10 qui sont sur le disque… »
Crooning
La musique de Rhye affiche volontiers un glacis eighties, tel qu’on pouvait en trouver notamment dans les productions jazz-pop ou soul FM à la Sade. Ecouter Shed Some Blood, par exemple, ne peut que faire penser à The Sweetest Taboo. Voix comprise… « C’est marrant parce que dans mes autres groupes, j’ai souvent cherché une chanteuse dont le grain pouvait se rapprocher de Sade. Finalement, il a fallu que je tombe sur Mike (rires). Mais pour être honnête, on ne connaît pas si bien que ça Sade. Je suis né en 81, et j’ai surtout en tête ses hits. Plus que la musique, ce qui nous relie, c’est certainement l’intention: la volonté de faire des morceaux plein de soul. » Comme Marvin Gaye ou Al Green. Mais aussi, comme le souligne Robin, Sting ou Phil Collins… « Oui, je sais, ce n’est pas bien », sourit-il.
Certains n’ont pas manqué de faire le lien avec des groupes plus contemporains comme The xx ou James Blake: mêmes atmosphères cotonneuses, mêmes ambiances nocturnes… Quiet is the new loud, dit le slogan, qui pour le coup n’est peut-être pas aussi creux que ça. Une question d’époque, voire de technologie. L’explosion des ventes de casques nomades par exemple, comme l’avançait récemment le New York Times dans son papier sur Rhye, est là pour valider la théorie: en isolant toujours mieux leurs utilisateurs du monde extérieur, ils permettent d’écouter toujours mieux les nuances et donc les silences…
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Rhye peut ainsi avancer à pas feutrés. Avec une mission: démontrer que retenue et sensualité ne sont pas forcément incompatibles. C’est assez rafraîchissant dans une « musique urbaine » qui n’a pas toujours fait dans la dentelle sentimentale. Aujourd’hui, des « crooners » r’n’b tels Frank Ocean, Abel Tesfaye (The Weeknd) ou Miguel oublient volontairement de rouler des mécaniques, mais la posture est assez neuve.
Une chose est certaine: on trouvera difficilement en 2013 disque plus amoureux, romantique et lascif que Woman. Sur les notes de pochette, Mike Milosh remercie « sa femme, sa muse » qui a apparemment servi de principale source d’inspiration (dans la première vidéo d’Open, c’est à elle que Milosh s’adresse, assise dans leur salon). Tout n’est pas toujours rose -voir le clip désenchanté de The Fall ou les paroles de Hunger. Mais la dominante est bien celle d’une passion amoureuse aussi violente qu’absolue.
A vrai dire, cela sonne presque comme une anomalie dans la pop actuelle où le coup de foudre est d’abord coup de trique. Robin Braun confirme: « Le sexe dans la pop music actuelle est souvent très agressif. On a envie de proposer quelque chose d’également charnel, mais de manière moins frontale. Nos deux premiers maxis montraient par exemple des corps féminins dénudés. Mais en utilisant seulement un détail de la photo, en noir et blanc, au point d’en faire presque une image abstraite. Voilà ce qui nous intéresse. »
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