L’Américaine Nan Goldin, née en 1953, est devenue célèbre avec son Ballad Of Sexual Dependency, publié en 1986, collection de portraits d’amis, d’amants, de came, de violences et de tristesses partagées où la photographe est à la fois auteur et sujet. Son talent: sortir du cauchemar une poésie visuelle foudroyante de beauté. Elle nous demande le magazine pour lequel on travaille:  » Je ne réponds qu’aux demandes formulées à l’avance (Ndlr, la nôtre a visiblement été égarée) et je veux contrôler le choix des photos. » Les copies de Focus étant restées à Bruxelles, elle embraie:  » Que pouvez-vous m’offrir? »  » Mon âme?« , suggère-t-on en guise d’offre prétentieuse et incontrôlable fait sourire la star qui baisse la garde. Plus tard, dans une salle d’expo déserte,  » pas devant des photos » , Nan nerveuse, vous regarde comme si elle vous fuyait tout en vous observant. On dirait un renard apeuré, mais ses photos ont quelque chose de plus carnassier. Drôle d’artiste à la fois chasseuse et gibier. Photographie collective à la première personne. Vision anti-digitale:  » Pour tout ce qui est sérieux, je n’utilise que l’argentique. Le numérique n’appartient pas à l’art, c’est une manipulation, une connexion à une machine. Il y a beaucoup trop de photos dans ce monde… Mon travail est hautement politique, mais je me sens encore davantage politique que mes photos. J’aimerais beaucoup photographier le sida en Afrique (…) Je ne veux pas être enfermée dans ce que j’ai fait il y a vingt ans, je voudrais photographier la mer, les paysages…  » Nan s’arrête, explique qu’elle voudrait retourner travailler à Berlin,  » qu’elle a tellement aimé avant la chute du Mur » . Une journaliste grecque surgie de nulle part l’aborde pour envisager un entretien. Nan lui demande si elle connaît telle galerie d’Athènes. Elle ne connaît pas et est donc renvoyée dans les cordes.  » Revenez quand vous connaîtrez mieux la culture de votre pays. » On sort du Palais des Festivals, ne restent dehors que les attachées de presse anglaises, lessivées. Nan ressemble à une ancienne jeune fille esseulée sur le tapis rouge. Nan est lourde de toutes ces images dures, criantes de vies fracturées, qu’elle construit depuis plus de trente ans. Difficile d’imaginer saisir tout cela en une seule photo. Même chez Goldin, la vraie vie peut être plus forte qu’une image…

PH. C.

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