HUIT ANS APRÈS UN PREMIER SOLO PIANO, GONZALES SE RASSIED DERRIÈRE LE CLAVIER, POUR UNE NOUVELLE SÉRIE DE MINIATURES POP, SOUS INFLUENCE SATIE.

Il aura quand même fini par atterrir là où on l’attendait. Depuis ses débuts, Chilly Gonzales, alias Jason Beck (1972), est passé maître dans l’art du contrepied. Passant d’un disque électro à un album hip hop, il s’est également essayé au rock FM seventies ( The Soft Power), a battu un record du monde du plus long solo de piano (27 h 3′ 44 », à Paris, en 2009), réalisé une « comédie sportive existentialiste » ( Ivory Tower). La dernière fois qu’on le rencontrait, c’était pour discuter d’un album de rap orchestral… Aujourd’hui, il sort Solo Piano II.

Gonzales donne ainsi une suite à un premier Solo Piano, disque instrumental sorti il y a 8 ans. Constitué d’une quinzaine de morceaux, ramenant régulièrement vers l’univers d’un Erik Satie, l’album avait créé la surprise, en trouvant rapidement son public. A ce jour, Solo Piano I reste même le plus gros succès commercial de Gonzales. « Tout à coup, des gens qui ne venaient pas du milieu underground étaient intéressés par ma musique, achetaient le disque, venaient au concert. C’était très gratifiant. » Quand il y repense, celui qui manie volontiers le cynisme et la provoc’ en vient presque à baisser ses défenses. « J’ai reçu plein de compliments et de témoignages touchants que je n’avais jamais récoltés auparavant. Personne ne m’a jamais dit que mon dernier album rap par exemple l’avait aidé à passer une période difficile. Je suis complètement touché, et reconnaissant de me retrouver dans une telle position. Cela étant dit, cela ne voulait pas dire que j’allais automatiquement faire un second Solo Piano . Au contraire, la leçon de tout ça était plutôt de continuer à prendre des risques. » Ce qu’il a donc fait, avant de refourguer aujourd’hui une nouvelle cargaison de miniatures au piano.

Bataille perdue

Gonzales reprend les choses là où ils les avaient laissées. Ou à peu près. « Entre-temps, j’ai développé des techniques spéciales. Pour pouvoir par exemple jouer mes morceaux rap ou électro au piano, lors de sessions acoustiques pour des radios, des trucs du genre. De toute façon, vous ne pouvez pas répéter la naïveté et les accidents d’un disque comme Solo Piano I . Je savais que cela allait prendre du temps avant de trouver un truc nouveau et sincère au piano. »

En décembre 2010, il se retrouve donc avec Feist en studio, pour enregistrer son Metals, du côté de Big Sur, sur la côte californienne. Elle dort tard, il se lève tôt. Et du coup, en profite pour se remettre derrière les touches noires et blanches. « Il s’agissait de ne pas se répéter. Mais en même temps, je voulais redonner le même feeling aux gens, repartir sur cette même atmosphère… » Quand on demande à l’intéressé de décrire ce « feeling » en particulier, on retrouve vite le Gonzales grande gueule et frondeur. Il explique: « Cela a à voir avec la place laissée à l’auditeur. En jouant avec une certaine pureté, on lui laisse plus d’espace pour interagir. Cela n’arrive pas beaucoup dans les musiques actuelles. Moi-même dans mes autres disques, je n’ai pas toujours laissé beaucoup de marge. En musique classique, c’est différent. Il y a souvent énormément de mouvements: quand vous écoutez un CD classique, vous devez sans cesse vous lever pour augmenter ou baisser le volume. C’est frustrant. En fait, ils ne pensent pas vraiment à vous, en tant qu’auditeur. Le jazz, c’est pareil. Vous pouvez aimer un truc, et puis le saxo part en vrille et commence à se masturber plus qu’à réellement communiquer. Donc, dans Solo Piano , j’utilise ces couleurs du jazz, du classique, voire de plus en plus d’une certaine pop ou d’une électro minimaliste et je les mets ensemble mais d’une manière qui dit aux gens que c’est une musique d’aujourd’hui. »

Mais encore? « Je veux faire une musique actuelle dans le sens où les morceaux rentrent dans une structure pop très simple, des morceaux de 2, 3 minutes pas plus. De toutes manières, actuellement, il n’y a pas de place pour autre chose. J’écoute Berlioz, Ravel,… Les couleurs m’intéressent, je creuse, j’étudie cette musique, mais ce n’est pas la mienne. C’est trop vieux. Pas les couleurs en elles-mêmes, mais la manière de les approcher, la façon dont elles sont développées… C’est une bataille perdue d’avance que de penser que je peux éduquer à apprécier un truc qui n’a été pertinent qu’en 1850. J’admets qu’on vit dans un monde de morceaux de 2 minutes 30. C’est le monde dans lequel j’ai grandi, celui de MTV, des tubes de Michael Jackson… »

N’empêche: dans l’univers merveilleux et ultrabrite de la pop music, Solo Piano II reste un ovni complet, bien loin des blockbusters à gros budgets et effets spéciaux pétaradants. « C’est probablement la raison pour laquelle ce genre de disque marche aussi! Ce n’est pas non plus une distraction plaisante, un simple rince-oreille. Sinon on ne m’en parlerait pas aussi souvent. Ce n’est pas un truc un peu new age à la Ludovico Einaudi, une musique qui n’a pas de couilles. Solo Piano I et II ont des couilles. Ça fait une grosse différence. » Dr Chilly, Mr Gonzales… l

CHILLY GONZALES, SOLO PIANO II, DISTR. PIAS. EN CONCERT LE 13/12, À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

ENTRETIEN LAURENT HOEBRECHTS

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