Quand l’art dénonce les atrocités de la guerre à travers les siècles

Le musée Reina Sofia de Madrid présente une grande exposition pour célèbrer le 80ème anniversaire de "Guernica". © REUTERS Susana Vera
Antoinette Reyners Stagiaire

La peinture historique de Picasso  » Guernica  » fête ses 80 ans. Elle est considérée comme l’une de ses oeuvres les plus politiques et engagées. Ce mouvement artistique dénonçant les atrocités de la guerre se manifeste pourtant déjà au 18e siècle et continue de traverser les époques.

Des visiteurs observent le portrait de Napoléon 1er réalisé par l'artiste Jacques Louis David lors de l'exposition
Des visiteurs observent le portrait de Napoléon 1er réalisé par l’artiste Jacques Louis David lors de l’exposition « Napoleon and Europe » au Musée de l’Armée à Paris© REUTERS/Charles Platiau

Durant des siècles, l’art a longtemps représenté des batailles héroïques alliant la gloire éternelle à la puissance masculine. En 1800, l’artiste Jacques Louis David peint « Le Premier consul franchissant les Alpes », célèbre icône du général Bonaparte.

Sur cette toile, le peintre français met en scène le fameux épisode du passage des Alpes par l’armée de Bonaparte pour repousser les Autrichiens. Cette scène marque le début de la seconde campagne d’Italie.

Séduit par la personnalité et la grandeur du général, l’artiste dresse le portrait d’un héros qui monte vers la gloire, dressé sur un cheval exagérément cabré, en indiquant valeureusement à chacun la direction à suivre. Ce portrait militaire deviendra le symbole même de ses victoires, alors qu’il ne s’agit que d’un épisode de stratégie militaire. D’ailleurs, alors que Napoléon désirait être montré « calme sur un cheval fougueux », c’est en réalité sur un mulet au pied plus sûr qu’il franchira le col enneigé. Il aurait déclaré au peintre : « Personne ne s’informe si les portraits des grands hommes sont ressemblants. Il suffit que leur génie y vive. »

La désillusion du peuple et du monde artistique

« Mais c’est simultanément lors des campagnes napoléoniennes au tournant du XIXe siècle que les artistes contribuent au mouvement de désenchantement face à la guerre« , expliquait l’exposition « Les Désastres de la guerre, 1800-2014 », tenue au Louvre-Lens mi-2014.

Le tableau de l’Espagnol Francisco de Goya « Tres de mayo » illustre ce net changement de perception.

Le tableau de l'espagnol Francisco de Goya dévoile la fusillade perpétrée par les français le 3 mai 1808 à Madrid.
Le tableau de l’espagnol Francisco de Goya dévoile la fusillade perpétrée par les français le 3 mai 1808 à Madrid.© AFP

Cette oeuvre raconte le massacre commis par l’envahisseur français le 3 mai 1814. Dans la nuit du 2 au 3 mai 1808, les soldats français, en représailles à la révolte du 2 mai, exécutent les combattants espagnols faits prisonniers lors de la bataille. L’artiste dénonce l’impuissance des opprimés face à la brutalité de l’armée napoléonienne. L’historien de l’art britannique, Kenneth Clark, considère cette création comme « la première grande toile qui peut être qualifiée de révolutionnaire dans tous les sens du terme: par son style, son sujet et son intention « .

De nombreux artistes partiront au combat pendant la Première Guerre Mondiale et attendront plusieurs années avant de raconter les atrocités de la guerre. Ce fut le cas de l’Allemand Otto Dix qui, traumatisé par l’horreur des tranchées, essaie d’exorciser ses cauchemars en peignant entre 1929 et 1932 son triptyque « La Guerre ».

L'oeuvre de l'allemand Otto Dix
L’oeuvre de l’allemand Otto Dix « La guerre » est aujourd’hui exposée à Dresde en Allemagne, le pays d’origine de l’artiste. © AFP

Corps déchiquetés et éviscérés, cadavres aux yeux vides, scène cauchemardesque,… Ce tableau ancré de rouge représente l’éternel recommencement de l’enfer : des soldats montent au front, combattent et meurent pour certains, les survivants battent en retrait pour à nouveau affronter le champ de bataille et mourir. C’est l’expérience, selon l’ancien soldat, du « retour à l’animalité ». Loin de tout réalisme, l’artiste « réinvestit l’univers médiéval, celui des danses macabres et s’inspire du retable d’Issenheim » (1515) qui représente le Christ en croix et autres scènes bibliques, souligne Claire Maingon, historienne de l’art.

Exposée une seule fois à Berlin en 1938, l’oeuvre sera considérée comme appartenant à « l’art dégénéré » (par opposition à l’art officiel et patriotique exigé par les nazis), puis ensuite cachée pour éviter sa destruction.

La photographie comme nouvelle arme

Au début du XXe siècle, la photographie supplante la peinture pour représenter la guerre. Elle conjugue immédiateté et qualité documentaire et donne même à voir « la mort en direct », comme le fameux cliché du soldat républicain pris par Robert Capa lors de la guerre d’Espagne (1936-39).

Les visiteurs prennent des snapchats de la célèbre photographie de guerre de Robert Capa
Les visiteurs prennent des snapchats de la célèbre photographie de guerre de Robert Capa « La mort du soldat républicain » prise en 1936.© AFP

Fauché par une balle, un soldat espagnol s’écroule dans un pré sur le front de Córdoba. C’était le 5 septembre 1936, il s’appelait Federico Borrell García. C’était un jeune anarchiste républicain de 24 ans combattant le camp des nationalistes espagnols. À cette même seconde, Robert Capa, jeune photoreporter de 23 ans, vraisemblablement couché dans une tranchée à quelques mètres de lui, saisit l’instant, transformant ce soldat anonyme en une icône des martyrs de la Guerre. L’authenticité de cette photo a été de multiples fois remise en cause, certains experts l’accusant d’être une mise en scène.

La photographie « Vietnam Napalm », quant à elle, nous plonge droit dans l’enfer de la guerre du Vietnam.

Le photographe Nick Ut et Kim Phuc se retrouvent devant la photographie le 17 septembre 2012 à Cologne, 40 ans après le drame.
Le photographe Nick Ut et Kim Phuc se retrouvent devant la photographie le 17 septembre 2012 à Cologne, 40 ans après le drame.© REUTERS/Ina Fassbender

En 1972, le photographe vietnamien Nick Ut immortalise la fuite éperdue d’un groupe d’enfants en détresse au Vietnam. En second plan, dans cette course effrénée apparait Kim Phuc, une petite fille de 9 ans nue qui a dû se débarrasser de ses vêtements en feu. Son corps est brûlé au napalm, conséquence d’une effroyable bavure commise par l’aviation sud-vietnamienne qui lutte avec les États-Unis contre les forces communistes du Nord. Mal renseignés, les bombardiers Skyraider se trompent de cible. Ils larguent des bombes au napalm sur un temple qui abrite non pas des combattants vietcongs, mais leurs propres soldats et des civils.

Ces photos mythiques posent un visage sur la guerre et sont parfois capables de transformer le cours de l’histoire. Le cliché de Nick Ut fera la une du New York Times en juin 1972 et poussera l’opinion publique à demander le retrait des troupes américaines.

Antoinette REYNERS

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