Quand Gwendolyn Brooks et Louise Meriwether racontaient leurs enfances noires
Publiés en 1953 et 1970, ces deux romans d’initiation sur l’expérience des filles et femmes afro-américaines restaient inédits en français.
En 1950, Gwendolyn Brooks (1917-2000) est la première femme afro-américaine à recevoir un prix Pulitzer de poésie, pour son deuxième recueil Annie Allen. Louise Meriwether (1923) est journaliste, activiste, notamment amie de Maya Angelou et après son premier roman, elle s’efforcera d’écrire des textes à destination des plus jeunes pour leur faire découvrir les grandes figures noires. De la même génération à peu de choses près, les deux autrices ont grandi en pleine Grande Dépression, Brooks à Chicago, et Meriwether à Harlem, où sa famille avait déménagé espérant mieux joindre les deux bouts. Les deux femmes eurent l’occasion de se rencontrer du vivant de Brooks, comme en témoigne une photographie de groupe puissante qui rassemble également d’autres figures de la littérature afro-américaine (entre autres Toni Cade Bambara et Sonia Sanchez).
Une place dans le monde
De leurs enfances à flanc de trottoir et dans la dèche totale, elles extraient chacune un roman largement autobiographique, donnant à lire pour la première fois la vie quotidienne noire du point de vue des petites filles et des adolescentes. En préface de Maud Martha, l’universitaire Margo Jefferson explique l’invisibilisation de Brooks par la parution à la même époque de L’Homme invisible de Ralph Ellison et La Conversation de James Baldwin -qui signera par ailleurs la préface de l’édition originale de Papa courait les paris en 1970. Ce n’est pas rien pour l’époque d’affirmer que la parole d’une fillette afro-américaine est suffisamment légitime pour qu’elle devienne centrale. Nous sommes, en 1953, juste avant le mouvement des droits civiques, comme le fait remarquer Brooks à travers sa protagoniste: “La théorie sur l’égalité raciale était sur le point d’être mise en pratique et elle espérait seulement qu’elle serait à la hauteur pour être considérée comme égale”.
En 1970, la situation est encore vulnérable. L’autoréflexive Maud Martha, que l’on découvre à travers 34 chromos, de 7 ans à la maternité, a des souhaits mais dont elle anticipe qu’ils puissent être rétrécis: “Par ailleurs qui pouvait jurer qu’elle ne réaliserait pas son rêve? Pas complètement d’accord, mais au moins en partie?”. Quant à Francie, l’héroïne délurée de Papa courait les paris, elle découvre bien trop tôt, au bord de l’adolescence, que son corps est convoité de façon malsaine, monnayable, par les hommes -ceux à qui vous devez acheter le pain ou la viande. Toutes deux se cherchent une place, vacillent parfois face à la dureté d’un monde où il faut se bagarrer non seulement pour obtenir une vie à peu près décente mais aussi avoir droit au chapitre. On sort de ces lectures galvanisé par leur façon d’accueillir leurs tragédies intimes et de les transcender.
Maud Martha ****
De Gwendolyn Brooks, éditions Globe, traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Huynh, 208 pages.
Papa courait les paris ****
De Louise Meriwether, éditions Philippe Rey, traduit de l’anglais (États-Unis) par Romaric Vinet-Kammerer, 240 pages.
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