Prix de la critique: sous le signe de la militance

Magali Minglaut, maîtresse de cérémonie. © Alice Piemme
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Ce lundi soir, les Prix de la critique désignaient leurs lauréats en théâtre, danse, cirque et jeune public en Fédération Wallonie-Bruxelles. Panorama du palmarès.

La grande nouveauté de cette édition des Prix de la critique, c’était bien sûr les récompenses. Les lauréats sont repartis avec une des statuettes dessinées par François Schuiten et réalisées par le sculpteur Karl-Heinz Theiss. Un prix sphérique comme une planète (« Totus mundus agit histrionem « , n’est-ce pas, Shakespeare?), qui s’ouvrirait comme un fruit mûr et que ses deux créateurs sont venus présenter sur scène, après une ouverture de cérémonie lancée en « kamikaze » par Roda Fawaz (au Poche ce mois-ci avant les Riches-Claires en avril avec son tube On the Road… A), tenue de main ferme et élégante par la maîtresse de cérémonie Magali Pinglaut (actuellement au National dans l’éblouissant Sylvia) et propulsée par le quartet métissé de Fabrizio Cassol, avec Fredy Massamba au chant, Rodriguez Vangama à la guitare/basse et Michel Séba aux percussions.

Le groupe F(s)
Le groupe F(s)© Alice Piemme

Mais ce que l’on retiendra aussi de cette soirée hébergée par le Théâtre 140, c’est sa haute teneur en militance. Le mot a été lancé dès les premières minutes par Alda Greoli elle-même, ministre en charge de la Culture : « Que chacun réveille le militant qui est en lui ! C’est la militance qui permet la solidarité et l’égalité. » Militer. « Agir pour une cause », dit le dictionnaire. Et il y en a eu des causes mises en avant lors de cette cérémonie. Tout d’abord dans deux interventions qui n’étaient pas liées à l’un des prix, mais qui trouvaient là un porte-voix : la parité hommes-femmes dans le secteur culturel, par le groupe F(s) ; la défense des migrants du parc Maximilien par Itsik Elbaz et Marie-Aurore d’Awans, co-fondateurs de l’initiative citoyenne Deux euros cinquante (« Les personnes en charge de se chargent pas de cette assistance. (…) Il s’agit de citoyenneté et de morale »).

Le palmarès en lui-même était significatif. Burning (Je ne mourus pas et pourtant nulle vie ne demeura) sur un texte de Laurence Vielle (sacrée meilleure autrice) aborde le phénomène du burn out. Délestage, de et par David-Minor Ilunga (meilleur seul en scène), raconte les mésaventures d’un Congolais en Belgique, victime de délit de faciès. Etna de Thi-Maï Nguyen (meilleur spectacle de danse) a été construit à partir de témoignages de personnes vivant dans la rue. Moutoufs, du Kholektif Zouf (meilleure mise en scène) se base sur l’expérience des cinq comédiens nés de mère belge et de père marocain.

Jean-Michel d'Hoop
Jean-Michel d’Hoop© Alice Piemme

L’équipe de L’Herbe de l’oubli, de Jean-Michel d’Hoop, est retournée à Tchernobyl, 30 ans après la catastrophe nucléaire, à la rencontre de ceux qui y vivent aujourd’hui. Quant au prix Bernadette Abraté attribué à Frie Leysen, fondatrice et première directrice du Kunstenfestivaldesarts, et à son successeur Christophe Slagmuylder (cédant lui sa place au trio de directeurs nouvellement désigné Sophie Alexandre, Daniel Blanga Gubbay et Dries Douibi), il a permis de souligner la personnalité très belge et radicale de ce festival international porté par les deux communautés (« ce prix honore le contre-courant, il honore un festival qui ne veut pas plaire, mais qui veut toucher là où ça fait mal », a dit Frie Leysen, saluée par une standing ovation). Comme est très belge et très radicale une autre grande dame de nos scènes, Agnès Limbos, décrochant le prix du meilleur spectacle jeune public pour son Baby Macbeth, joué dans un théâtre élisabéthain à la mesure des bébés.

Enfin, certains discours de lauréats n’ont pas manqué de secouer le cocotier, attirant l’attention sur le manque de valorisation des périodes de recherche artistique et sur le durcissement des conditions pour accéder au « statut d’artiste » (à travers les mots de Justine Lequette, meilleure découverte pour J’abandonne une partie de moi que j’adapte) et en dénonçant certaines injustices apparentes dans la redistribution des subsides lors des dernières renégociations des contrats-programmes.

Patrick Masset
Patrick Masset© Alice Piemme

Patrick Masset (meilleur spectacle de cirque pour Strach – A Fear Song) s’est ainsi mis dans le plus simple appareil, « à poil », pour souligner la fragilité des artistes dans un système de financement qui doit être « dépolitiser » et où il faudrait « supprimer l’entre-soi ». Quant au metteur en scène Georges Lini, dont les espoirs pour le financement de sa compagnie Belle de Nuit n’ont pas été rencontrés, il est monté deux fois au micro (pour la scénographie d’Un Tailleur pour dames et pour le prix de l’espoir masculin à Félix Vanoorenberghe pour December Man et La Profondeur des forêts), décochant au passage des fléchettes aux responsables des commissions d’avis.

Anne-Claire, meilleure comédienne.
Anne-Claire, meilleure comédienne.© Alice Piemme

Pour que le panorama soit complet, on mentionnera qu’Anne-Claire, visible très émue et revenue elle aussi sur les inégalités salariales entre hommes et femmes dans le secteur, a été distinguée meilleure comédienne pour sa performance semi-immobile dans Oh les beaux jours mis en scène par Michael Deaunoy et Laurent Capelluto comme meilleur comédien pour Le Misanthrope monté par Dominique Serron et l’Infini Théâtre. Quant à l’Espoir féminin, il a été attribué à Raphaëlle Corbisier, innocente et provocante dans Gen Z de Salvatore Calcagno. Enfin, c’est la marionnette géante de Frankenstein (mis en scène par Jan-Christoph Gockel) qui a remporté les suffrages du jury dans la catégorie Création artistique et technique.

Dans la bouche de plusieurs a été soulignée la fonction du théâtre comme lieu où donner la parole à ceux qui ne l’ont pas, à ceux qu’on ne voit pas ; cette soirée a été en tout cas l’occasion, au-delà des récompenses, de donner la parole à ceux-là mêmes qui portent d’habitude celle des autres.

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