Point de fusion

Jeff Parker, le soliste de Tortoise, ouvre au maximum les fenêtres post-rock sur le grand jazz. Impétueux voire enfantin.

Au rayon  » catégorie« , on a tapé  » post-rock » mais on aurait pu cocher post-jazz ou post-chinchilla. Le décloisonnement est, faut-il le rappeler, au centre de la démarche sonique de Tortoise. Groupe de Chicago fondé il y a 30 ans dont Jeff Parker -né en 1967- est le guitariste, prioritairement missionné (par lui-même) dans la construction de ponts d’après-rock. Ceux au-delà des baby boomers, béats de blues, de psychédélisme et autres adeptes d’une planète tranquillement radiophonique. Tortoise? L’intranquillité comme vertu essentielle, la nationale plutôt que l’autoroute, la tension et l’attention. En une demi-douzaine d’albums, la formation a creusé des chausse-trappes aux commodités rock-jazz qui iront jusqu’au jus de cervelle torréfié. Parfois plus satisfaisants sur le plan de l’ambition intellectuelle folle -tenter de créer une nouvelle musique- que d’une cooptation des sentiments avec l’auditoire présumé. Préceptes généralistes n’ayant, au fond, guère d’importance à l’écoute de cet album plus jazz qu’autre chose. Il débute avec Build a Nest: une drôle de chanson, quasi la seule vocale du lot. On dirait les Andrew Sisters plongées dans un rythme tout aussi bizarre que faux, comme si les voix dérapaient de façon consentante alors que surgit un solo de guitare digne de Wes Montgomery. Après, paf, c’est l’embardée de C’mon Now, titre agité où le batteur semble d’abord vouloir fuir la gale à toute vitesse. Comme toute autre menace corporelle dégoûtante.

Point de fusion

Be-bop 2.0

Par la suite, le son s’approche de l’idiome africain ( Fusion Swirl), du planant ( Metamorphoses) et même d’une sorte de musette futuriste ( Del Rio). Toujours avec un pedigree qui ramène à un profil particulier: explorateur digital, fasciné par le sampling et le hip-hop, Jeff Parker se souvient,sur ce septième solo, qu’il est aussi et d’abord le fils d’une culture afro-américaine inévitablement marquée par le jazz. Collaborateur de l’impérial Joshua Redman (sur un album de 2005), il s’entoure ici d’un groupe aux parfums filant volontiers vers un be-bop 2.0. Mais de manière constamment déviante, notamment par la rythmique et les arrangements singuliers, comme le fait de mixer très haut la batterie dans le titre final. Marge et incongruité pas seulement dans une reprise de John Coltrane ( After the Rain) mais aussi dans celle du Black Narcissus de Joe Henderson, autre sax américain mythique. C’est sans doute davantage une question de filiation, d’ambiance et d’héritage que de cursus vu que le jazz survole les onze titres de manière naturelle et organique, décalée. Donnant des musiques qui, sans abandonner leurs prétentions dissonantes et légèrement tordues, renouent inévitablement avec d’intemporelles valeurs. Comme l’ultime morceau Max Brown, titre inspiré par la mère de Jeff -Maxine-, qui boucle des séquences de guitares virtuoses qu’auraient aimées feu Marc Moulin ou le toujours actuel Philip Catherine. Vaguement rock, de volatile manière. Voire enfantine dans ses nombreux accès ludiques qui semblent dire: have fun mais réfléchis quand même.

Jeff Parker & The New Breed

« Suite for Max Brown »

Distribué par V2 Records.

8

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