Playa philo (8/8): Profiter de l’apéritif avec Nietzsche

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Laurent de Sutter
Laurent de Sutter Professeur à la VUB

Chaque semaine, petits problèmes et grandes solutions: comment les vieux barbons de la philosophie viennent au secours du vacancier perdu.

Le monde ensoleillé de la Méditerranée. Le relâchement des routines et des faux devoirs. La réconciliation avec une forme de plaisir trop longtemps négligée. Les vacances sont une invitation à la vie -une vie plus directe, plus douce et plus brutale à la fois: une vie plus intensément vitale. Mais, pour parvenir à cette réconciliation, il y a une condition. Dans Le Crépuscule des idoles, un livre qu’il écrivit à toute vitesse au cours de l’été 1888, sur les hauteurs de Sils-Maria, dans les Alpes suisses, Friedrich Nietzsche l’avait résumée d’un seul mot: « ivresse ». L’ivresse est ce qui rend possible une forme d’abandon face aux ennuis dont le monde nous presse, de manière à autoriser d’y poser un autre regard, plus proche de l’art, de la jouissance esthétique. Il faut que notre corps tout entier soit saisi par l’ivresse pour abandonner les horreurs de la vérité et les fictions de la réalité au profit d’une reddition à la pure puissance de débordement qui définit la subjectivité authentique.

Au moment de se servir un apéritif avant le déjeuner (ce qu’on ne se serait jamais autorisé durant l’année, au nom du travail à accomplir l’après-midi, des avis des médecins qui déconseillent de boire davantage qu’un verre par jour, ou des préoccupations pour une ligne s’affaissant de plus en plus avec les années), se souvenir que l’ivresse constitue la porte d’entrée d’une expérience plus forte de la vie pourra servir non seulement de prétexte idéal, mais aussi de meilleure raison pour se resservir. L’apéritif, de moment un peu vulgaire, où les exigences ennuyeuses de la socialisation sont lubrifiées à coup de petits pastis, de Spritz de toutes les nuances d’orange ou d’un verre de ce blanc frais et sec comme les crissements des grillons, s’en trouve soudain haussé à la hauteur d’un moment philosophique supérieur. Il n’y aucune raison de ne pas le faire durer.

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