Vandals, Arte aux manettes
Ex-street artist activiste, Théo Le Du Fuentes transforme son expérience de rue en gameplay sur Vandals. Ce puzzle game qui confirme l’implication d’Arte dans le gaming détaille l’histoire des arts urbains, au sens large.
« Rester invisible. Venir et partir, sans arme ni violence. » Théo « Cosmografik » Le Du Fuentes résume sans hésiter la devise qui habitait ses années street art, il y a huit ans. L’artiste qui officiait au sein du collectif Raspouteam ne cimente plus, sur les murs de Paris, des codes QR liés à des pages oubliées -et sombres- de son histoire. Au placard les carrés de faïence activistes. Jonglant désormais avec de vrais pixels, le créateur a transformé le sentiment d’urgence de ses interventions murales en gameplay sur Vandals. Le tout pour un puzzle game aux airs de jeu d’infiltration qui célèbre les arts urbains dans leur sens large, à travers cinq villes emblématiques. Gare aux bombes …
« Avec la Raspouteam, on se levait en pleine nuit pour aller coller. On s’est fait arrêter par la Brigade anti-criminalité car on plaquait une affiche de 15 mètres de haut, avenue du Parc-des-Princes, un soir de match. Je me suis permis de faire un jeu sur le street art car je me sens légitime », note Théo, chef d’orchestre qui a embarqué une dizaine de développeurs de Novelab. « Quand tu fais quelque chose d’illégal dans l’espace public, il faut se préparer, avoir une organisation tactique pour se replier, au cas où. Cette idée colle parfaitement à un gameplay d’infiltration. Les mécaniques de Vandals sont directement inspirées de cette expérience. »
Chorégraphiant un jeu du chat et de la souris avec des forces de l’ordre, Vandals demande au gamer de se déplacer, sur un rail, case par case pour aller poser un graffiti (à réaliser à la souris) sur un point précis. Attirer l’attention des adversaires et induire en erreur leurs déplacements via un coup de sifflet ou un jet de bouteille y est vital pour trouver la sortie sans se faire pincer. Il faut anticiper les déplacements de la police pour éviter d’entrer dans leur champ de vision. Des buissons où l’on se planque le temps d’une ronde ou des bouches d’égout servant de raccourcis salvateurs alimentent également ce jeu publié par Arte.
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Vandalisme simulator 2.0
« Des gens ont commenté sur le Web qu’avec Vandals , le service public faisait la promotion de la dégradation des biens de l’État, eux-mêmes nettoyés avec de l’argent public. Ce n’est pas faux », sourit le créateur qui avait déjà livré Type:Rider pour la chaîne franco-allemande. « Mon but n’est pas de créer des vocations mais d’expliquer au grand public une pratique critiquée. De casser des préjugés et de mettre des artistes en avant. » Via de petites fiches dissimulées sur chaque niveau, les grandes figures et les évolutions du street art se dévoilent ainsi à travers le monde et les époques.
L’essor de la pichação, lettrages aux airs de runes à São Paulo croisent ainsi les bios d’artistes incontournables comme Miss. Tic ou Ernest Pignon-Ernest en France et Keith Haring à New York. Détaillant notamment la naissance des Throw Ups , lettrages gigantesques s’exécutant rapidement sur des trains de la Big Apple, Vandals ouvre un de ses chapitres à la culture hip-hop sans verser dans une ambiance rap. « Dès le départ, j’ai voulu éviter de coller à cette esthétique hip-hop car le street art est plus large », poursuit Théo. « Je voulais parler de quelque chose de beaucoup plus inclusif. Ça ouvrait plus de portes. Notamment pour souligner l’aspect sécuritaire de la vidéosurveillance à Tokyo ou encore dévoiler comment l’art de rue a été un moyen d’expression pendant la guerre froide à Berlin. »
Vandals développe donc une esthétique urbaine, éthérée et presqu’abstraite. Sa bande originale instrumentale oscille en outre entre des claviers 80’s et des thèmes plus jazzy. Cette volonté louable de neutralité se solde malheureusement par un certain manque de personnalité du jeu. Plongeant dans son action sans avant-propos détaillant son intention, Vandals ne déchaînera pas les passions.
La formule originelle d’ Hitman GO et de Lara Croft GO (Square Enix) dont il s’inspire allègrement ne s’y renouvelle pas suffisamment tandis que son gameplay tourne un peu en rond. À bien des égards, ce titre honnête mais pas exaltant illustre l’influence limitée qu’a eu le street art sur les jeux vidéo. Excepté l’excellent Jet Set Radio de Sega, des productions comme Marc Ecko’s Getting Up ou Sideway: New York ne se sont ainsi pas soldées par des gameplays mémorables. Plus que la police, l’ennui est le pire ennemi du graffeur derrière les manettes…
Vandals n’est pas la première déclaration d’amour de Théo Le Du Fuentes envers l’art du lettrage. Après avoir terminé une école d’imprimerie, ce développeur indépendant racontait ainsi deux millénaires de typographie sur Type:Rider, il y a cinq ans. Ce créateur de 31 ans qui est également passé par la réputée école Gobelins (animation) y détaillait l’évolution de notre écriture. Des peintures rupestres de la grotte Chauvet à l’apparition de la presse de Gutenberg, ce titre entre webdoc et jeu de plateforme inaugurait l’implication en tant qu’éditeur d’Arte dans les jeux vidéo (le très psychédélique Californium, sur Philip K. Dick). Avant Type:Rider et Vandals, Théo « Cosmografik » Du Fuentes évoluait au sein du collectif d’art urbain Raspouteam. Ce trio qui a mené plusieurs opérations dans les rues de Paris s’est notamment fait connaître pour Désordre public en 2010. De la rue où Ibrahim Ali a été abattu par un colleur d’affiche du FN au premier braquage de la bande à Bonnot, cette vingtaine de QR Codes collés sur les murs de la capitale mettait en lumière certaines pages oubliées de l’Histoire de la capitale française.
Vandals, édité par Arte/Ex Nihilo et développé par Novelab, âge: 7+, disponible sur Android, iOS et PC. ***
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