Titre - Cai Cai Balão
Édité par - DADIU
Développé par - Sissel Morrell Dargis
Âge - 8+
Disponible sur - gratuit sur PC via dadiu.itch.io/cai-cai-balao
Illégal depuis 1998, l’art des baloeirosfait l’objet d’un hommage gaming sur Cai Cai Balão. Ou comment un jeu, inspiré d’un docu, veut réhabiliter la culture des ballonspirates du Brésil.
Dans le ciel, ils tanguent tels des samovars ivres emportant les rêves fous des baloeiros, leurs créateurs. Né dans les favelas du nord de Rio, l’art underground des ballons volants brésiliens tutoie le soleil, jusqu’à le cacher, depuis près de 40 ans. Ces aéronefs parfois grands comme un immeuble de 30 étages témoignent d’une culture populaire, d’une ferveur et d’un savoir-faire artisanal inouïs. Fermement punie par l’État brésilien (notamment pour cause d’incendies de forêt et d’immobilisation aéroportuaire), la pratique de ces montgolfières pirates fait l’objet d’un hommage gaming inédit sur Cai Cai Balão, jeu de parkour nominé lors du dernier Independent Games Festival de San Francisco.
“En 1998, cette activité est subitement devenue illégale. Des pères qui la pratiquaient avec leurs enfants sont devenus des criminels, susceptibles d’être dénoncés du jour au lendemain contre une prime de 2 000 euros. Cette interdiction a finalement enlevé une activité artistique accessible des mains des classes populaires brésiliennes”, souligne Sissel Morrell Dargis, cocréatrice danoise de Cai Cai Balão et réalisatrice de Balloon Wars, le documentaire dont le jeu est inspiré (1).“ Le talent en danger des baloeiros est aussi lié à leur savoir-faire capable de fédérer des équipes collaborant au décollage des plus gros modèles. Aujourd’hui, l’activité reste diabolisée par l’État. Il déteste aussi tout ce qui tourne autour d’eux, à l’image des vidéastes et de notre projet de jeu.”
Vol au-dessus d’un nid de fous
Entretenant une lointaine parenté en Asie, l’art clandestin des baloeiros a été d’abord observé en Espagne et au Portugal, où il a été détourné à des fins religieuses avant d’atterrir au Brésil. Les montgolfières sans passager y ont pris des proportions hors norme et transportent ainsi fréquemment des toiles suspendues gigantesques. Mais aussi, des panneaux de 20 000 photophores multicolores, créant ainsi comme des murs de pixels lumineux. Certains modèles embarquent même des dizaines de plateaux superposés déclenchant un chaos pyrotechnique en l’air. Cai Cai Balão gamifie le rite de leur atterrissage hasardeux. Car pour les crews de baloeiros, récupérer un ballon rival a valeur de trophée royal. De shoot d’adrénaline aussi.
Vu à la première personne, Cai Cai Balão glisse donc le gamer dans la peau d’un wannabebaloeiro qui doit faire ses preuves. Le jeu codéveloppé par des étudiants de la National Academy of Digital Interactive Entertainment de Copenhague demande de sauter sur des murets et des toits d’une favela pour aller attraper une série de ballons à la dérive. Grossièrement inspiré de GTA, le jeu de parkour exige de scruter le ciel pour gagner de précieuses secondes avant que le chrono ne se déclenche. Mais aussi de s’accroupir face à des câbles électriques, tout en évitant la police et les gangs adverses. Pas une seule balle n’y est toutefois tirée.
“L’histoire de trafiquants de drogue utilisant des cerfs-volants dans les favelas reste une légende.Il est difficilement concevable pour eux de dépendre de la météo pour pouvoir communiquer. Pour les ballons, c’est pareil: les médias les ont détournés de la même manière car les favelas drainent les amalgames” , insiste Sissel Morrell Dargis en grimaçant sur ses deux béquilles. La créatrice, qui précise s’être cassé la cheville en courant après un ballon, insiste: “ Dès qu’elle constate qu’un baloeiro a un casier, la police fait des raccourcis. Mais un type qui fait des ballons peut parfaitement avoir échoué dans le crime par la force des choses, sans que ça n’ait de lien avec sa passion.”
Offrant entre autres des bonus de saut et de vitesse au fil des missions de récupération réussies, Cai Cai Balão est doté de volets ludique et technique très rudimentaires mais qui s’entourent heureusement d’une B.O. royale, entre hip-hop, bossa nova et surtout baile funk très énervé. De courtes séquences vidéo rythment en outre les victoires et les game over. Une séquence à moto en GoPro se prend ainsi un coup de matraque policière. Plus loin, un hors-bord vient cueillir un ballon en pleine mer. Sans oublier ce baloeiro qui reste très dangereusement suspendu à un ballon dans les airs. Tous risquent un à trois ans de prison.
Ballons de discorde
“On espère aider à ouvrir le dialogue avec Cai Cai Balão . Arrêter la déshumanisation des baloeiros mais aussi parler ouvertement des problèmes d’incendie qui peuvent être réglés. Les médias généralistes ne se penchent pas sur toutes les techniques de sécurité qui ont été créées”, note Emil Nilsson, l’un des 20 développeurs du jeu. “ Quand on y réfléchit, la répression de ces ballons coûte aussi énormément d’argent, car elle requiert une vingtaine de voitures de police et un hélicoptère qui sortent chaque semaine.”
Hommage à Ton, un baloeiro qui a purgé dix ans de prison, Cai Cai Balão ne présente pas toutes les facettes de cette passion qui dévore le Brésil. L’an dernier, 20 kilomètres carrés du parc Juquery, dans l’État de São Paulo, se sont embrasés suite au crash d’un des ballons. En février dernier dans le même État, l’aéroport de Guarulhos a vu un ballon géant recouvrir un Boeing 737 en plein terminal.
Mais Sissel Morrell Dargis n’en démord pas: “La différence de traitement face au boom du graffiti brésilien est flagrante. Le gouvernement a soutenu ce milieu -hipster- car il a été commercialisé et ses créateurs exposés dans des galeries d’art à New York. Ce n’est pas du tout le cas pour les baloeiros car personne ne sait comment en tirer de l’argent.” En dévoilant un folklore inconnu via un jeu, Cai Cai Balão offre en tout cas une plus-value culturelle importante à cette pratique. À ce jour, seuls des jeux comme Never Alone, Mundaun et Year Walk dévoilaient de la même façon des trésors de patrimoines insoupçonnés, respectivement en Alaska, en Suisse et en Suède. ●
(1) Très prometteurs, Balloon Wars et le livre détaillant le travail documentaire de Cai Cai Balão sortiront à la fin de cette année.
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