Super Mario Odyssey: Les 1001 vies de Mario
Dernier survivant d’une ère où les mascottes étaient légion, Mario se glisse dans la peau de ses adversaires pour voler leurs pouvoirs sur Super Mario Odyssey. Une approche furieusement originale où l’image de l’icône de Nintendo éclate en 1000 morceaux. Explications en compagnie de Jean-Claude Boulay, professeur de sémiologie à Paris-Descartes.
A une heure en voiture de Nagasaki, les maisonnettes et commerces d’Huis ten Bosch s’alignent comme une improbable reconstitution, pierre par pierre, d’une petite ville hollandaise pittoresque. Ce parc d’attraction pour adultes plongeait un peu plus dans son hallucination il y a quatre ans. La ville sans habitant accueillait en effet un flashmob de 134 mascottes nippones (toutes différentes) pour finalement décrocher un record dans le Guinness Book. Police, attractions touristiques, centre commercial, préfecture, prison… On ne compte plus les institutions publiques et privées invoquant la force de ces Yuru-Chara (1) au Japon. La plupart de ces figures kawaii ne sortent pas des frontières nipponnes. Plus connu que Mickey Mouse chez les kids US, Mario dément toutefois cette règle. L’ambassadeur de Nintendo, malgré ses 36 ans, saute d’ailleurs de plus belle sur Super Mario Odyssey, ce mois-ci.
Roi des icônes du jeu vidéo depuis trois décennies, Mario a fait l’objet d’une foule d’analyses et d’écrits. L’historien de l’art Pierre Pigot compare par exemple sa longévité et sa popularité à celle de Mickey dans L’Assassinat de Mickey Mouse. Le plombier moustachu est pourtant le fruit d’un accident industriel. Shigeru Miyamoto, son père, a ainsi été contraint de l’imaginer suite à un refus de droit d’auteur visant Popeye dans Donkey Kong (1981). Habillée du même rouge que le logo de Nintendo, la star qui est née sur ce jeu d’arcade endosse le rôle de mascotte officielle pour Nintendo depuis 1989.
« La mascotte est comparable au doudou de l’enfant, pointe Jean-Claude Boulay, professeur de sémiologie à Paris-Descartes et sociologue des mascottes. Elle joue à ce titre le rôle d’objet transitionnel comme défini par Donald Winnicott. La peluche permet de rassurer l’enfant et agit comme un filtre protecteur face au monde extérieur qu’il ne connaît pas. Au niveau des marques, les mascottes assurent la même fonction« , « Le monde financier étant obscur et effrayant par nature, une banque invoquera par exemple un petit chien pour représenter un de ses produits financiers. La mascotte est donc un médiateur, un intermédiaire qui se place entre la compagnie ou le produit et le client. Sa définition littérale renvoie d’ailleurs au sortilège.«
En avalant un champignon, Mario grandit. En touchant une fleur, il jette des boules de feu. Cette métamorphose magique est gravée dans la culture populaire. Super Mario Odyssey explose ce paradigme en glissant Mario dans la peau de ses adversaires. Pour y arriver, le plombier moustachu projette comme un boomerang Capy, sa casquette (vivante), sur ces derniers. Jamais vu auparavant, cet improbable pouvoir baptisé « Chapimorphose » a le don de placer sous les projecteurs une poignée de vilains iconiques dévoilés dans le premier épisode de la saga culte.
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Bill Balle, célèbre obus noir, survole ainsi des gouffres infranchissables à pied. Se glisser sous les écailles d’un Cheep Cheep affranchit le gamer de toute jauge d’oxygène dans des mondes aquatiques. Ces métamorphoses constantes ne se contentent pas d’un fan service rétro projetant le gamer de l’autre côté du miroir. Sourire aux lèvres, en équilibre précaire dans les airs, on projette ainsi le jet d’eau vertical puis horizontal d’une pieuvre pour respectivement éteindre un champ de lave puis assommer un boss poulpe.
D’un mille-pattes s’étirant comme un accordéon dans le vide à un oiseau projetant son bec pour escalader des parois, Super Mario Odyssey demande un perpétuel apprentissage de mouvements et pouvoirs. À l’image du saut géant de la grenouille ou de l’incarnation en courant électrique, certains poltergeists n’offrent que peu d’intérêt, mais la plupart de ces réincarnations amusent heureusement la galerie. D’un nuage soufflant des éléments du décor à un bulbe sauteur aux jambes élastiques étranges, les idées folles défilent à toute allure, sans jamais prendre le temps de se développer. Les mondes colorés d’Odyssey laissent un goût de trop peu. Incapables de les unifier, les 24 transformations de Mario éclatent l’architecture et le game design du jeu. En un mot, son identité.
Mangez-moi, mangez-moi
« Cette transformation, c’est aussi du cannibalisme« , poursuit Jean-Claude Boulay. « Quand un guerrier en mangeait un autre par le passé, c’était pout récupérer ses qualités. C’est un vieux mythe que l’on retrouve dans plusieurs cultures.« En glissant une foule d’adversaires aux mains du joueur, cette Chapimorphose kaléidoscopique dissout aussi le vedettariat de Mario qui ne reste plus à l’écran tout au long du jeu.
Depuis l’échec de sa Wii U, la mort de Satoru Iwata (son président) et face à un marché gaming mobile dominé par Android et iOS, Nintendo traverse une profonde période de mutation et de doute identitaire. Les 1001 visages de Mario (sa moustache et sa casquette demeurent sur chaque monstre incarné) en seraient-ils le reflet? Nul doute que Big N joue de la Chapimorphose à des fins de gameplay et ne veut pas transmettre de message particulier. Consciemment du moins.
Jean-Claude Boulaynote ainsi que « les marques ont elles aussi un inconscient collectif, car elles sont faites par des hommes et des femmes. Il arrive donc qu’elles véhiculent des messages sans même le savoir. J’ai analysé les pubs d’Orange pour finalement en déduire qu’ils agissaient comme une mère sans qu’ils le sachent. lls étaient les premiers surpris lorsque je leur ai annoncé. »
Accompagné de sa casquette Capy, jouant le rôle d’un sidekick, l’icône Mario s’efface un peu derrière ses ennemis. Sur le terrain du marketing, les mascottes gaming ne se montrent plus guère aujourd’hui. Goodies, adaptation BD, télé et ciné… Les années 80 et 90 de Pac-Man ou Megaman semblent loin. Master Chief chez Microsoft ou Nathan Drake et Crash Bandicoot chez Sony ont défilé comme des espèces en voie de disparition dans les années 2000. La moyenne d’âge désormais plus élevée des gamers et le phénomène des avatars que l’on personnalise expliqueraient cette lame de fond…
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Il y a trois décennies, une foule d’éditeurs gaming rêvait pourtant de mascottes (lire ci-dessous). Le trou noir aspirait aussi des marques extérieures au jeu vidéo qui rejoignaient le bal sur consoles 8 et 16 bits. Fido Dido (7Up), Cool Spot (Sprite) et autres Global Gladiators (Mc Donald) ont fait leur temps. Tout comme le long versus opposant Nintendo à Sega. On ne compte d’ailleurs plus les fan arts et BD amateurs mettant en scène Sonic contre Mario. Si ce duo a finalement réglé ses comptes à l’amiable sur Mario & Sonic aux Jeux Olympiques, « ce conflit montre à quel point l’identification des joueurs à la mascotte était forte. Mario condense tout, c’est à la fois le personnage principal, le nom du jeu, et en même temps moi-même quand j’y joue. C’est très puissant« , poursuit Jean-Claude Boulay. « Pour les mascottes de marques, les rencontres sont rares mais pas inexistantes. Orangina a déjà repris des animaux d’autres marques. Il y a aussi un spot télé où Bibendum se bat contre les stations-service car ses pneus permettent de consommer moins de carburant. »
Shigeru Miyamoto a déposé la manette pour transmettre sa création phare à Kenta Motokura, disciple qui a notamment oeuvré sur Super Mario 3D World et surtout les deux géniaux Super Mario Galaxy. Sur le nouveau Super Mario Odyssey, Motokura pose une gentille rupture. Et les enseignements prodigués par son maître, décoré d’une Légion d’honneur en France, demeurent.
Welcome to the Plastic Peach
Euphorique comme une chasse aux oeufs de Pâques repoussée en plein carnaval, le jeu de plate-forme et d’aventure exige de trouver un nombre donné de lunes haut perchées ou enterrées pour passer au niveau suivant. Une pseudo-Laponie glacée où des phoques-esquimaux se roulent en boule pour d’improbables courses, une cité d’inspiration new-yorkaise où l’on saute sur des foules d’employés habillés en gris, un désert rouge où les pyramides sont inversées et où le thermomètre stagne en dessous de zéro… Loin d’être tous égaux en taille, ses quinze mondes ouverts regorgent ainsi d’alcôves secrètes et de tunnels invisibles aux airs d’épiphanie pour qui les découvre.
Alourdis de problèmes de caméras et ankylosé d’une poignée d’univers génériques (le pays du Lac et celui des Chutes notamment), Super Mario Odyssey ne se hisse pas en tête des meilleurs épisodes de la saga. À l’image des Broodas -hideux lapins anthropomorphes-, les boss de fin de niveau peu inspirés et récurrents du jeu ne sont pas à la fête. Mais une furieuse envie de terminer cette aventure à la conclusion gentiment féministe s’empare du gamer qui se plonge dans ce labo où Motokura multiplie les idées… sans jamais en creuser une à fond.
L’alchimie relève d’un ravissement constant où à force de saltos arrières, de charges au sol et autres roulés-boulés, la découverte de nouveaux pouvoirs et de cachettes ravit. Cerise sur le pixel, le jeu étale également une poignée de niveaux 2D rétro réalisés en 8 Bits. Ces mondes trop courts se plaquent comme des affiches sur les parois et sols de l’univers 3D fantastique de Nintendo. Mario y marche au plafond, retrouve Donkey Kong et croise de belles petites énigmes inédites. Une transformation de plus. Et surtout un refuge identitaire salutaire vu le trouble de la personnalitéque traverseMario sur Super Mario Odyssey.
(1) Littéralement, un « personnage bonhomme et décontracté ».
Super Mario Odyssey, édité et développé par Nintendo, âge: 3+, disponible sur Nintendo Switch. ****
Avec sa forme simplissime immédiatement reconnaissable, Pac-Manavance comme l’archétype de la mascotte. Cette icône née en 1980 a inauguré le merchandising gaming de masse mais n’a jamais su livrer une suite digne de ce nom. Bien plus juste que ses versions féminisées ou en 3D,Pac-Man 256 signait un come-back inattendu il y a deux ans. Édité par Namco, le jeu Android rénovait ainsi la formule originale en calant au bas de ses labyrinthes une marée montante de glitchs.
Autre retour gagnant plus récent, celui de Sonic Mania reprend les débats là où ils s’étaient arrêtés il y a 20 ans. Le jeu de plate-forme développé par des fans embauchés chez Sega oublie la 3D, synonyme de poisse pour la mascotte bleue. Sur fond d’horizons urbains nocturnes, d’usines fluo et de paysages nippons enneigés, Sonic Mania réveille des sensations 2D oubliées. À quand le retour de Megaman et Alex Kidd (que Sonic a évincé) via cette même méthode?
Toujours en colère avec sa dégaine de bad boy japonais, Segata Sanshiro apparaît comme une exception dans le paysage des mascottes gaming. Cet expert en arts martiaux interprété par Hiroshi Fujioka (la sauterelle sur la moto de Kamen Raider, c’est lui) a en effet incarné l’image de la marque jusqu’à déborder de son cadre de 1997 à 1998. Apparu dans 20 publicités au Japon, le personnage dont le nom s’inspire de La Légende du grand judo de Kurosawa bastonnait des lycéens ou effrayait des enfants au pied d’un sapin de Noël pour les enjoindre de jouer à la Saturn de Sega.
Ce Chuck Norris nippon a acquis une telle popularité en ses terres que son album éponyme s’est écoulé à 100.000 exemplaires, après un digne sacrifice cathodique où il stoppe un missile dirigé vers le QG de Sega. Son patron a fini par sortir Segata Sanshiro Shinken Yugi, une compilation de mini-jeux hommage tandis qu’une poignée de productions l’invitent encore aujourd’hui pour des caméos, notamment Project X Zone 2, jeu de stratégie tactique de Namco Bandai.
Les héros animaliers anthropomorphiques avaient la cote dans les années 80 et 90. Une foule de personnages de jeux de plate-forme a surfé sur cette vague et on ne compte plus les mascottes oubliées de l’époque. Blinx sautait ainsi comme un chat représentant la première Xbox, mais n’est jamais retombé sur ses pattes, faute de gameplay solide.
Dans ce cimetière animalier, notons enfin une large proportion de Sonic-like plus ou moins inavouables. Canard bizarre, Socket copiait furieusement les déplacements hypnotiques et incontrôlables du hérisson bleu tandis que Bubsyle lynx planait sans raison particulière pour attraper des pelotes de laine. Des flatulences embarrassantes du putois de Punky Skunk à Awesome Possum, ce zoo a fermé ses portes aujourd’hui puisque les éditeurs ne courent plus après ces mascottes.
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