RamRam, le studio qui attend son envol avec 30Birds
Présenté au monde entier lors du dernier Summer Game Fest en juin dernier, 30Birds est le premier jeu du studio bruxellois RamRam. Ses fondateurs, Coline Sauvand et Laurent Toulouse, se sont lancés dans l’aventure alors qu’ils n’y connaissaient rien en développement de jeu vidéo.
Au bord du canal à Bruxelles, pas très loin de la place Sainte-Catherine, c’est un petit immeuble d’un étage qui ne paye pas de mine. Coline Sauvand, avec qui nous avons rendez-vous, nous ouvre la porte et nous emmène au premier étage.
Nous voilà dans une pièce d’une vingtaine de mètres carrés où l’on découvre une demi-douzaine de studios de jeux vidéo indépendants. « Ça s’est fait un peu par hasard », nous dit Coline. Ici, le studio Apophenia 23 qui travaille sur le jeu Guaishou ; à côté, Thomas « Waterzooie » Meynen, auteur de Please, Touch The Artwork, le premier créateur vidéoludique à s’être installé ici. Non loin, deux développeurs de Tolima studio qui n’ont pas le droit de parler de leur jeu, édité par le français Dontnod. Au fond,… un bureau d’architecte. Quant à Arthur, croisé à la machine à café et dont même Coline ne sait pas exactement pour qui il bossait, il confie travailler à distance sur un jeu indé français. Et puis bien sûr il y a RamRam, que nous venons visiter pour en savoir plus sur son premier projet, 30Birds.
Une fois installés dans l’espace commun au rez-de-chaussée, baigné de lumière par une verrière, Coline revient sur la genèse du studio. Tout a commencé en 2014 avec Laurent Toulouse : « On a gagné un concours pour réaliser un carnet de voyage sous forme de dessins à Istanbul, qu’on nous a proposé d’exposer dans un centre culturel ». Car le couple ne vient pas du tout du monde du jeu vidéo : Coline sort d’un cursus en arts plastiques et était illustratrice d’albums jeunesse ; Laurent est quant à lui diplômé en philosophie. Mais ce dernier s’est mis depuis peu à la programmation. L’exposition du carnet de voyage sous forme de cube interactif provoque un déclic : et si on en faisait un jeu vidéo ?
Un œuf qui met du temps à éclore
Mais même si Coline est capable de dessiner vite, il s’avère rapidement que développer un jeu ne s’improvise pas. « On avait juste un univers graphique, mais on n’avait pas de gameplay, pas de scénario, pas de plan de financement. Laurent commençait juste à apprendre à coder, et moi je faisais encore mes animations sur papier image par image ! Tout ça a bien évolué… »
Coline et Laurent apprennent sur le tas, notamment en participant à des Game Jam et d’autres événements de networking où ils rencontrent des collaborateurs : une animatrice, un graphiste 3D, un studio partenaire à Hasselt pour le game design… En tout, une équipe de 7-8 personnes, pas évidente à coordonner. « C’est super dur. Au début, c’étaient des amis bénévoles. Puis à un moment on a dû changer de système et se dire ‘‘ok, maintenant on va avoir des exigences de timing’’… On n’a pas l’habitude. Depuis deux semaines, on a un coach qui nous aide, on commence à avoir un workflow qui fonctionne. »
Conséquence de ce tâtonnement, le jeu est aujourd’hui en préproduction depuis seulement 3 mois. Il faut dire que le manque de compétence en développement n’a pas été le seul frein, un autre étant d’ordre financier. « On a passé beaucoup de temps à remplir des dossiers pour avoir des subventions. Parfois on les a eues, parfois pas… » La présence de plusieurs studios au même endroit est un véritable atout pour s’échanger des tuyaux, afin de trouver les canaux de financement et décrocher les bourses. Contrairement à ce que font de nombreux studios indépendants, 30Birds n’est pas passé par le financement participatif, qui prend « énormément de temps et d’énergie ». « On n’avait pas envie de se lancer là-dedans, on préférait bosser sur notre jeu. »
En 2019, RamRam présente enfin un prototype, cinq ans après l’idée initiale. « Un proto prend énormément de temps à faire, il doit contenir tous les éléments de base du jeu et il existe peu d’aides au prototypage ». Cet avant-goût permet à 30Birds de remporter le Belgian Game Award du jeu le plus attendu en 2020. Ceci fait, le studio produit une démo à présenter à des éditeurs pour financer le développement proprement dit. Aujourd’hui, il en a trouvé un, avec lequel il devrait signer les contrats définitifs en septembre.
Ces derniers mois, tout s’accélère et le jeu a réussi à attirer l’attention du public international grâce à la diffusion d’un trailer dans le Wholesome Direct du Summer Game Fest, l’événement qui s’est substitué au salon E3, la grand-messe annuelle du jeu vidéo. Une grosse deadline pour le studio, qui a travaillé intensément pour boucler la présentation. Mais l’effort en valait la peine : « Ça a été une super expérience pour nous parce qu’on a pu voir pour la première fois des streamers jouer à notre jeu et le traduire en portugais, en arabe, en plein de langues… Les gens captaient super bien les blagues, rigolaient en jouant, c’était vraiment chouette à voir ».
Grâce à cette exposition médiatique, des joueurs du monde entier ont placé le jeu dans leur wishlist sur la boutique en ligne Steam. Petit à petit, les 30 oiseaux font leur nid…
30Birds, un monde de lanternes
30Birds est un jeu créé par des artistes, et ça se sent. D’abord par la qualité indéniable de son animation. Et puis par sa direction artistique unique, inspirée des miniatures persanes, découvertes par Coline Sauvand à Istanbul. Un style tout en couleurs et en géométrie, que les Ottomans ont ramené à Constantinople de leurs campagnes en Perse.
De ces miniatures sans perspective réaliste, mais qui racontent par l’image, est née l’idée d’un univers en deux dimensions imprimé sur des lanternes à quatre faces, un dispositif rappelant en quelque sorte le cube de l’exposition du Carnet d’Istanbul (lire plus haut). Chaque lanterne est ainsi un tétraptyque dont on ne voit qu’une seule face à la fois, ce qui crée à chaque angle un effet de surprise et demande une certaine capacité de visualisation spatiale pour s’y retrouver. Le tout dans une ambiance musicale qui mélange influences orientales, musique électronique, reggae ou ska.
L’objectif du jeu est inscrit dans son titre : afin de retrouver l’oiseau géant qui a créé la cité des lanternes, il va falloir mettre la main sur 30 piafs dispersés un peu partout. Coline Sauvand le concède : le jeu n’a pas de grandes ambitions narratives, mais s’inscrit dans la droite ligne du mouvement des wholesome games. Né d’un compte Twitter en 2019, il met en avant des jeux bienveillants, non-violents et relaxants. Mais ce n’est pas pour autant qu’on s’ennuie devant 30Birds. À la manière des jeux de Toby Fox (Undertale, Deltarune), les dialogues regorgent d’un humour méta qui fait mouche. Chose plutôt rare, l’héroïne du jeu a sa propre personnalité et réagit par elle-même aux répliques des personnages non joueurs.
Enfin, outre l’aspect point & click, le gameplay de 30Birds s’articule autour de puzzles basés sur des instruments de musique électro-fantaisistes. En les résolvant, on débloque un module de l’instrument utilisable ensuite dans le sound system. La fonctionnalité, encore en développement, doit permettre de composer ses propres musiques d’ambiance. Et c’est là que le jeu montre ses limites dans la version de développement que nous avons pu teste. Car si la manipulation des instruments s’avère expérimentale, la résolution des puzzles l’est tout autant. En effet, il n’est pas question de reproduire une mélodie qu’on entendrait, comme souvent avec les mini-jeux du genre. Face à ces objets ésotériques, le joueur ne comprend ainsi pas toujours ce qu’on attend de lui, et la prise en main à la manette parfois approximative n’arrange pas les choses.
La sortie de 30Birds est prévue pour 2024 et il y a encore du travail pour en faire un petit bijou du jeu indé, mais il en a certainement tout le potentiel.
Arthuria Dekimpe (st.)
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