Quitter Facebook, cet équivalent moderne à TF1 la nuit
On ne reverra pas rejaillir le feu de l’ancien volcan, Facebook redevenir enthousiasmant, avance ce Crash Test S06E27. Autant dès lors le quitter, malgré la flemme et même si rien n’urge. Chronique d’une mort virtuelle annoncée…
Cette semaine, un étudiant en journalisme m’a interrogé via Zoom sur ma vie, mon oeuvre, mon rapport aux réseaux sociaux et dans quel état j’erre. Je lui ai bien évidemment sorti quelques énormités. Ma façon de voir Facebook l’a ainsi visiblement beaucoup amusé. Voyons si cela sera également votre cas. Ce qui suit mélange ce dont je me souviens de la conversation aux réflexions ultérieures que celle-ci a suscitées. Cela ne découle d’aucune recherche, d’aucune contextualisation. Ce n’est pas du journalisme, ni une synthèse de choses apprises, lues ou entendues. Ce n’est que mon ressenti personnel, basé sur mon expérience actuelle de la plateforme. Ce ressenti n’est pas honnête à 100%, étant quelque peu mis en scène, exagéré, dans le seul but de provoquer le rire. Et de moi-même m’amuser. Ce n’est, je crois, toutefois pas totalement dénué de fond. Voici:
Pour moi, Facebook, c’est devenu TF1 la nuit! Il ne se passe plus rien là-dessus! Je zombifie aujourd’hui sur Facebook comme je zombifiais jadis, lorsque j’étais encore inactif et insomniaque, devant TF1 en deuxième et troisième partie de soirée. Ou France 2, je ne sais plus. Peu importe. Ce que j’évoque ici, c’est cette heure tardive à partir de laquelle la télévision ne diffuse plus que du télé-achat, des émissions sur la chasse, les pêcheurs de la Loire et des documentaires sur le pottok, ce petit poney du Pays basque. Pour moi Facebook est vraiment devenu un équivalent moderne de ce néant devant lequel piquer du nez. Mon fil ne me montre quasi plus que les formations professionnelles à distance qui « intéressent » des gens que je connais à peine, du macramé fabriqué durant les confinements de leurs gosses et de la publicité déguisée en « suggestions », qui outrepasse donc les filtres du bloqueur de pubs. Plus rien de rigolo, plus rien d’intéressant; plus rien qui ne me donne même envie d’insulter les gens, ce qui est pourtant censé être le mode de fonctionnement du bidule si on en croit certaines enquêtes. Facebook est régulièrement accusé de manipuler la colère larvée et d’encourager au cyberclash mais ce n’est pas mon expérience du machin. J’ai plutôt l’impression d’être complètement inexistant aux yeux des algorithmes et que ceux-ci ne me livrent donc juste que le service minimum. Comme TF1 la nuit.
Sans doute devrais-je un peu chipoter les paramètres mais j’en ai tout simplement la flemme. Ce qui renforce d’ailleurs encore cette comparaison avec TF1. Parce qu’à l’époque, plutôt que de suivre les discussions entre pêcheurs de la Loire sur une chaîne de télé cérébralement morte, j’aurais très bien pu mettre une VHS dans le lecteur et regarder un film, tant qu’à ne pas dormir, ni lire, et donc subir. Mais j’en avais la flemme et cette sorte de flemme, je l’ai souvent rencontrée dans ma vie. Comme tout le monde, je pense. Tenez: quand j’étais fumeur, au début, les clopes, j’adorais ça. Surtout par grandes chaleurs. Fumer le midi, dans le sud de l’Espagne, quand le soleil tape dur et que la sueur du visage donne un goût salé aux cigarettes. Que celles-ci vous donnent un genre, aussi. Essayer de fumer comme Martin Sheen dans Apocalypse Now, comme un personnage d’Antonioni ou de Bret Easton Ellis. Mais quoi? Dix, quinze, cinquante clopes plus tard à prendre des poses de voyous existentialistes au bord de la piscine ou sur le chemin des ânes et le compte est bon. Vous avez fait le tour de la question. Le plaisir se transforme en ennui. Pareil pour TF1 en troisième partie de soirée. Trois fois les pottoks, trois fois les pêcheurs de la Loire et voilà, vous avez aperçu le fond du fond du néant le plus vide. Plus besoin, de votre vie entière, de rallumer une télévision. Pareil pour Facebook, bien sûr: au bout de la vingtième blague sur Georges-Louis Bouchez, au bout de la trentième invitation à signer une pétition pour sauver la culture ou contre les flics, vous vous retrouvez devant le même néant, englué dans la même gangue d’ennui. Vous pourriez mettre fin à ça en quelques secondes mais à cause de cette flemme, vous allez encore un peu rester. C’est fini, cela dit. On ne reverra pas rejaillir le feu de l’ancien volcan.
Cette flemme dure généralement un an, environ. Peut-être plus, ce coup-ci en ce qui me concerne, mais peu importe, vu que je ne ressens de toute façon aucune urgence à quitter Facebook. Aujourd’hui, le bouzin me sert principalement à joindre des gens pour le boulot et à causer à des personnes qui n’habitent pas la même ville ou le même pays. Et à découvrir des disques via les recommandations du magasin bruxellois Balades Sonores. Ça, c’est vraiment cool. Facebook ne m’est donc pas totalement inutile, plutôt largement usuel. Je l’utilise dès lors désormais sans passion et ça ne présente plus aucun danger pour ma santé mentale. J’y poste certes moi-même encore des trucs mais plutôt par automatisme, sans rien en attendre, sans réel enthousiasme. À vrai dire, si j’ai une grosse connerie provocante à balancer, je pense que la taguer dans le bus ou le train serait encore plus marrant et aurait plus d’effet que de mettre ça sur Facebook. Comme dans une relation sentimentale, sentir arriver la fin ne signifie donc pas que l’on va rompre dans l’instant. Je commence à reluquer ailleurs, cela dit: ne serait-ce pas plus fun et excitant de lancer une newsletter? La nostalgie de l’ex se fait aussi bien sentir: les blogs, c’était quand même drôlement plus satisfaisant et créatif…
J’ai arrêté la télévision en 1995, la clope une dizaine d’années plus tard. Je n’en ai aucune nostalgie, ça ne me manque absolument pas. Certains de mes souvenirs de télévision et de cigarettes sont très agréables mais ce n’est qu’une infime partie d’une compote que j’estime sans aucun intérêt. Il en sera de même pour Facebook: un petit baluchon de très chouettes moments et de cools souvenirs au milieu d’un immense océan d’ennui et d’inintérêt. Quand j’en aurai vraiment fini avec ce machin, je n’en parlerai pas beaucoup, ça me fera juste hausser les épaules. Des années devant la télévision, des années à cloper et des années sur les réseaux sociaux, c’est je pense une expérience assez partagée. Personne n’aura dès lors besoin de mon témoignage, de connaître mon vécu et mes impressions, vu la banalité du ressenti. J’estime avoir fait le tour de la question et ne voit donc pas le moindre intérêt à partager mes notes puisqu’il n’y a pas de zones d’ombre, pas de points qui resteraient à éclaircir, pas d’enjeu, pas de nostalgie. « C’était bien, puis c’est devenu relou. Alors je me suis barré. Point. » Pas de quoi en faire des tartines, encore moins un événement médiatique ou un enjeu sociopolitique. À vue de pif, ça sera pour l’été 2021, peut-être l’hiver 2022. Ou même avant, par exemple, lorsque la vie dehors redeviendra un peu plus passionnante…
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