Ni No Kuni II, entre jeu vidéo et cinéma d’animation
Conte fantastique baignant dans l’aura du studio Ghibli, Ni No Kuni II: L’Avènement d’un nouveau royaume estompe un peu plus encore les frontières entre cinéma d’animation et jeu vidéo. Une très longue aventure en cel shading qui couronne près de 40 ans de dialogue entre ces deux médias.
Le récent décès très médiatisé d’Isao Takahata souligne -si besoin était- que le père du Tombeau des lucioles (1988) a élevé le cinéma d’animation au rang d’objet culturel et artistique. Cofondateur du studio Ghibli, le réalisateur qui y brossait le destin tragique de deux enfants japonais en temps de guerre a toujours cultivé une défiance envers les techniques de production numérique. Doublé du crayon d’Hayao Miyazaki (Nausicaä de la vallée du vent, Totoro…), son fervent engagement écologique et pacifiste a néanmoins percolé au-delà de l’animation faite à la main. Loin d’être des gamers, Takahata et Miyazaki approuvaient ainsi, il y a cinq ans, la collaboration de leurs équipes avec celles de Level-5 sur Ni No Kuni: La Vengeance de la sorcière céleste, sur PlayStation 3. Aujourd’hui, L’Avènement d’un nouveau royaume n’est plus estampillé Ghibli, mais son aura brille encore. À tel point que ce jeu de rôle événement brouille les pistes entre film d’animation et jeu vidéo. Un cas loin d’être isolé.
Créer un royaume n’est pas une mince affaire. Jeune prince victime d’un coup d’État, Evan se lance pourtant dans ce projet insensé dans Ni No Kuni II. De Gamblor, sin city taïwanaise qui a confié son destin (et son taux d’imposition) aux jeux de hasard à Celacan, îlot parano aux airs d’Atlantis interdisant de tomber amoureux, le kid et ses amis parcourent un monde haut en couleur. Objectif: fédérer des micro-États sous la bannière d’Espérance, nation qu’il souhaite voir rayonner « d’un million de sourires ». Noirci par la mort d’un parent et par une mystérieuse intro évoquant la destruction de notre civilisation, Ni No Kuni II n’en reste pas moins d’une naïveté confondante.
Noble lignée
Peuplé d’humains et d’animaux anthropomorphiques, ce jeu de rôle à la positive attitude déborde d’imagination et de références à Ghibli. Des détails vestimentaires rappellent Nausicaä et la vallée du vent, tandis que des moussaillons se baladent comme les petits esprits blancs du Château ambulant. Plus loin, Irma, bibliothécaire capricieuse, refuse son grand âge à l’image de Yubaba, la vieille sorcière du Voyage de Chihiro. Pas de doute: Yoshiyuki Momose, ex-Ghibli (dont le crayon a notamment dessiné Pompoko) a pris en charge le character design du jeu. Le studio d’animation pensait, pour sa part, fermer boutique avant le développement de Ni No Kuni II, si bien qu’il n’a plus livré de somptueuses cinématiques 2D comme sur le précédent épisode.
Auteur des très distingués Professeur Layton, le studio japonais Level-5 s’en tire toutefois avec les honneurs visuellement. L’impression, vertigineuse, de plonger dans un dessin animé domine. Hélas, à l’image des alliés combattant aux côtés d’Evan, les nombreuses tranches de vie parallèles à la trame principale ne happent pas. Une mage mystérieuse obsédée par les cotations sur 20, un pseudo-Yoda maître d’une forêt enchantée, une tatie Gretchen dresseuse de feux follets: on regarde distraitement cette valse de personnages secondaires au charisme passable. Un constat d’autant plus regrettable que leur traitement en cel shading émerveille. Traduisible en français par « ombrage de celluloïd », ce terme barbare plaque des textures de dessin animé sur les décors et les personnages en 3D d’un jeu vidéo. Prônant une palette de couleurs réduite, ce rendu BD donne en pratique l’impression que ces derniers sont plats: on ne se rend donc compte de la profondeur de l’univers que lors des mouvements des personnages. Passé maître dans cet art (les très manga-esques Inazuma Eleven et Yo-kai Watch), Level-5 est loin d’être le seul studio à se draper de cel shading. Ce style particulier, qui faisait l’objet d’une exposition il y a quelques années à la Video Game Art Gallery de Chicago, tisse ainsi un dialogue intime entre cinéma d’animation et jeu vidéo depuis près de 20 ans.
Au début des années 2000, Jet Set Radio de Sega et The Legend of Zelda: The Wind Waker ont ainsi lancé et popularisé cette approche qui osait tourner le dos à la suprématie du photoréalisme dans le jeu vidéo. MadWorld, Killer7 et Okami ont ensuite affiné la technique pour des festins graphiques hallucinés. À l’image d’ Inside, The Legend of Zelda: Breath of the Wild ou encore du récent Dragon Ball Fighter Z (qui copie plan par plan les animations du dessin animé), une poignée de productions récentes en 3D prouvent que le cel shading vit encore.
Comme au cinéma
Cette volonté d’immerger le gamer dans un film d’animation relève en fait d’un vieux fantasme: créer un dessin animé jouable. Dans les années 80 et 90, la palette de couleurs limitée d’un cartoon était, de fait, beaucoup plus facile à reproduire en 2D, sur consoles et PC, que celle d’un film. Et plusieurs grands noms ont marqué ces deux décennies de leurs propositions. Éric Chahi sautait ainsi le pas avec Heart of Darkness (1998) mais surtout Another World (1991), miracle animé aujourd’hui repris dans la collection permanente du MoMA de New York. Cette vague de dessins animés jouables, qui compte également David Perry (Aladdin et Earthworm Jim) parmi ses plus illustres représentants, avait été précédée de Dragon’s Lair en 1983. Mais le titre dessiné par Don Bluth (un ex de Disney) manquait encore cruellement de gameplay, contentant d’aligner des séquences vidéo à embranchements multiples.
Laissé pour mort suite à l’explosion de la 3D dans les jeux vidéo, l’héritage 2D de Prince of Persia, Castle of Illusion et autre QuackShot revit aujourd’hui. Au début de cette année, Gorogoa demandait ainsi d’aligner, de superposer et de grossir les vignettes animées d’une BD au fil d’un puzzle-game proche de la patte du Little Nemo de Winsor McCay. Cette aventure poétique, multipliant les réalités jusqu’à plonger le gamer dans un état d’hypnose, était suivie, le mois dernier, par Chuchel, point & click hilarant qui se regarde autant qu’il se joue. Un constat également valable dans la 3D aux airs de dessin animé de Ni No Kuni II …
La rencontre de Level-5 et des studios Ghibli n’a finalement rien d’extraordinaire au Japon, terre où le cinéma d’animation et le jeu vidéo ont noué leurs destins. L’auteur de manga et character designer Akira Toriyama en est l’exemple le plus célèbre, vénéré autant pour Dragon Ball que pour Dragon Quest tandis que Masamune Shirow (Appleseed et Ghost in the Shell) cache une ludothèque RPG insoupçonnée, peuplée de robots sur PC Engine et Super Nintendo. Mais une foule d’autres exemples crépitent, à l’image de Takehiko Inoue (Slam Dunk, Vagabond), qui a dessiné les personnages de Lost Odyssey sur Xbox 360.
Une tradition qui n’empêche pas Level-5 de s’emmêler en l’occurrence quelque peu les pinceaux ici, comme sur le précédent Ni No Kuni. Au-delà de ses personnages un peu creux, le rythme du périple d’Evan est ainsi fait de missions à rallonge et d’allers-retours pénibles. Entrer dans la bibliothèque de la cité du jeu de Gamblor demande par exemple de battre une armée. Pour y parvenir, le gamer devra au préalable recruter des soldats demandant eux-mêmes des faveurs sous forme de mission annexe. Comme dans Walking Dead (la série), une opération de sauvetage en amène une autre, et on se demande souvent quand ces manèges en cascade prendront fin. Difficile de ne pas penser que l’expérience narrative -perdue à jamais- d’Isao Takahata aurait définitivement pu aider Ni No Kuni II à mieux rythmer et cerner son propos.
Manette en main et dette de sommeil sous les yeux: 24 heures ne suffisent pas à faire le tour de Ni No Kuni II: L’Avènement d’un nouveau royaume. La superproduction multiplie en effet les gameplays, convoquant Final Fantasy, Sim City, Pikmin et même Tetris autour de la table. Ou comment mélanger jeu de rôle, jeu de gestion, stratégie temps réel et puzzle-game… En forêt ou au bord de la plage, les phases d’exploration souvent labyrinthiques déclenchent des combats évitables (les monstres sont visibles sur la carte). Ces joutes en temps réel déploient trois personnages sur le terrain, dont un pris en main par le gamer. Level-5 a bien dosé les choses. Les points de magie utiles pour lancer des sorts dévastateurs se rechargent à force de coups à l’arme blanche. Et les moments de grâce se succèdent face à des champignons géants qui font fumer leurs spores à 360 degrés ou contre un golem de pierre coiffé d’arbres…
Ne demandant pas une dextérité hors norme, ce volet Hack and slash glisse également des moussaillons dans les arènes de combat. Ces petits elfes très « Ghibli » dans l’âme y tracent des cercles temporaires qu’il faudra rejoindre pour activer des canons et autres sorts blessant automatiquement l’adversaire. Ne cassant pas le rythme de l’exploration, ces combats se complètent d’un mode « Royaume » aux airs de vrai jeu de gestion complexe. Construire des bâtiments comme des armureries, recruter des habitants et les assigner à différents projets de recherche permettent de débloquer de nouvelles armes, accessoires et pouvoirs magiques. Ce dialogue permanent avec la quête principale se double enfin d’un mode « escarmouche », soit des phases de stratégie où l’on dirige des troupes en temps réel sur un champ de bataille. De la stratégie, de la gestion, des combats…: ces gameplays multiples visent au final à améliorer la puissance de son équipe de combattants. Une très bonne idée loin d’être vitale, vu que les adversaires ne se montrent guère farouches…
Édité par Namco Bandai et développé par Level-5, âge: 12+, disponible sur PC et PlayStation 4. ***(*)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici