Max Payne 3, en slow motion
Le bullet time de Matrix a enfanté une génération entière de jeux vidéo dont Max Payne 3 est le dernier représentant. Mais cette manipulation vertigineuse du temps n’est pas le seul emprunt du joystick au septième art. Constamment, son esthétique, sa technique et sa narration s’immiscent dans les règles du medium interactif. État des lieux.
Popularisés sur des fêtes foraines à des époques différentes, le cinéma et le jeu vidéo entretiennent une relation tumultueuse depuis leur rencontre dans les années 80. De E.T. sur Atari 2600 au Lara Croft: Tomb Raider de Simon West, la ronde des adaptations toile/joystick (et inversement) a enfanté des productions largement dispensables. Logique puisque celles-ci sont pensées comme des sources de revenus supplémentaires prolongeant la vie commerciale d’une oeuvre. Le couple maudit roucoule toutefois lorsqu’au-delà du marketing, leurs codes esthétiques, narratifs et ludiques s’influencent mutuellement. Parmi ceux-ci, le bullet time occupe, une fois de plus, un rôle central dans le dernier Max Payne 3 (voir notre test dans le Focus du 18 mai) de Rockstar.
Embryonnaire sur le clip de Like a Rolling Stone que Michel Gondry réalisait pour les Stones en 95, ce tour de passe-passe visuel explosait le Matrix des frères Wachowski quatre ans plus tard. Cet effet de caméra voyageant librement autour d’une action ralentie est depuis lors gravé dans la mythologie geek grâce à une scène. Celle de Keanu Reeves évitant un nuage de balles. Culte. Au rayon jeu vidéo, le MDK de David Perry (Earthworm Jim, Cool Spot…) tentait des prémisses de bullet time quelques années auparavant. Mais Max Payne (2001) de Remedy Entertainment sera le premier à lui offrir ses lettres de noblesse en le transformant en gimmick ludique central.
Derrière les manettes, ce ralenti ne se dénature pas. Mieux, il passe à la vitesse supérieure. Max Payne, flic new-yorkais dont la famille a été assassinée par des trafiquants de drogue, peut ainsi momentanément ralentir le cours du temps. Face à une dizaine d’ennemis, ce slow motion à vitesse variable permet donc au joueur d’aligner les headshots sans peine. De semer la mort autour de lui comme jamais auparavant. Malgré huit ans de placard, le jeu de tir vu à la troisième personne est donc toujours populaire de nos jours. Adapté au cinéma dans un long métrage raté (évidemment), ce polar noir écrit par Sam Lake (auteur du lynchéen Alan Wake sur Xbox 360) déroulait également une foule d’autres charmes.
Narration hallucinogène par phases de jeu sans game over, interactivité poussée avec le décor (qui se criblait d’éclats de balles), cut scenes sous forme de comics haut de gamme peint à la main… L’approche ultra commerciale du jeu sous Tranxène ne l’a pas empêché de livrer des innovations bluffantes pour l’époque. Et surtout des intentions d’auteur que l’on retrouvera encore dans sa suite en 2003. Bras tendus vers l’avant avec un flingue vissé dans chaque main, son anti-héros spectaculaire empruntait en outre les plongeons latéraux de John Woo. Si bien que ce dernier a tenté l’aventure d’un jeu vidéo similaire avec Stranglehold en 2007. Raté, malheureusement.
Parmi les premiers jeux gérant les lois de la physique avec réalisme, Max Payne offrait, malgré une progression en corridor, une maturité et une immersion proches d’un Grand Theft Auto. Désireux de ne pas se risquer à la lourdeur d’un troisième épisode qui ferait suite à un volet efficace mais sans éclat majeur, Remedy Entertainment (édité aujourd’hui par Microsoft Studios) a finalement vendu sa licence fétiche à 2K Games. Une mallette de 10 millions de dollars. L’éditeur a confié la réalisation de Max Payne 3 à une des huit antennes de développement de Rockstar dont il est propriétaire. On a toutefois déjà vu pire passation de pouvoir dans le jeu vidéo.
Accélérateur de business, le bullet time a contaminé par la suite une foule de productions bien inspirées dans les années 2000. Prince of Persia: The Sands of Time, Mirror’s Edge, F.E.A.R. et Red Dead Revolver (de Rockstar!) comptent parmi ses dignes représentants. Mais cette distorsion temporelle a également révolutionné certains genres ludiques comme le jeu de rôle. En vue subjective, le génial Fallout 3 s’articulait ainsi autour du V.A.T.S. (Vault-Tec Assisted Targeting System). Comme dans un Doom des familles, le joueur bouge en temps réel autour de ses ennemis pour choisir un angle et une distance d’attaque appropriés. À la différence d’un first-person shooter classique, ce dernier fige toutefois l’action à l’instant qu’il juge le plus opportun. Et choisit de viser une partie précise du corps de son adversaire. Avec des dégâts différents selon que l’on atteint bras, tête ou jambe…
Au-delà de ce gimmick à l’acronyme barbare, les balles de sniper de Bulletstorm se contrôlent de leur côté en fin de course pour étaler de la confiture de cervelle. Le tout avec le joystick et en slow motion. Last but not least, Driver San Francisco réinventait les jeux de courses automobiles en figeant le temps dans un ralenti extrême. Objectif: changer de conducteur au beau milieu d’une circulation urbaine à coups de dézooms et de zooms façon Google Maps. La distorsion de la ligne du temps qui s’exprimait également avec talent dans les rembobinages de Braid (on « rewind » une scène pour accéder à des plateformes impossibles) est loin d’être le seul recyclage inventif d’un effet visuel cinématographique en gameplay ludique.
De Hitchcock à Doom
À un degré plus primaire, des techniques visuelles comme le travelling ont ainsi donné naissance à des styles de jeu à part entière. Dans les années 80-90, une génération entière de shoot them up 2D à défilement (dites « scrolling ») horizontal ou vertical comme R-Type ou Sonic Wings en témoigne. Dans le même registre, l’emploi répété de la caméra subjective par Hitchcock (Chantage, Fenêtre sur cour…) a influencé le subconscient de grands noms du jeu vidéo comme John Carmack et John Romero dont le Wolfenstein 3D a récemment été mis en ligne gratuitement pour ses 20 ans.
L’esthétique du cinéma a donc abreuvé le jeu vidéo dans divers domaines. Le Blade Runner de Ridley Scott qui a déteint sur l’architecture et la B.O. de Mass Effect ou l’univers contre-utopiste de Nomad Soul (avec David Bowie!) l’illustrent à merveille. À ces emprunts plastiques viennent également s’ajouter des structures de découpage moins perceptibles immédiatement. La multiplicité des points de vue d’un film comme Vantage Point permet par exemple à Heavy Rain ou à Halo: ODST de présenter différentes versions d’une histoire au fil de leurs chapitres.
Le 7e art n’est toutefois pas le seul à insuffler une nouvelle vie au jeu vidéo puisque les séries télévisées entrent également dans la danse depuis peu. L’histoire d’Alan Wake se voit ainsi découpée en épisodes, à grand renforts de « Previously on… », lorsqu’on reprend son aventure. Pour ne pas risquer la faillite, TellTale Games morcèle même son adaptation vidéoludique (sur iPad et iPhone) de Retour vers le Futur en plusieurs fragments, que le joueur achète à la pièce pour une poignée d’euros. La petite lucarne, futur du jeu vidéo?
Michi-Hiro Tamaï
BUSTER KEATON, PÈRE DE MARIO
Coeur d’un jeu vidéo, le gameplay en définit le style et les règles. Les jeux de plateforme modernes trouvent ainsi leurs racines dans Super Mario Bros, un des pères incontestés du genre. Pour créer son univers, Shigeru Miyamoto s’est en fait largement inspiré des inénarrables acrobaties jubilatoires des films muets de Buster Keaton. L’autre emprunt majeur du jeu vidéo au cinéma est plus confidentiel mais tout aussi iconique. Populaires dans les 80’s, les combats de rues de beat them all (Double Dragon, Streets Of Rage, Final Fight…) sont ainsi nés suite au succès des films de « vigilante ». Soit l’idée d’une justice que l’on rend soi-même, cristallisée par des films d’exploitation mais aussi des classiques comme l’Inspecteur Harry ou Un justicier dans la ville.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici