Bombslinger: retour sur trois ans de création d’un jeu belge et indépendant
Pétri de bonnes intentions, revisitant le mythique Bomberman, Bombslinger allume le secteur du jeu vidéo en Fédération Wallonie-Bruxelles aux côtés de Healer’s Quest et de Domiverse. Retour sur trois ans de création.
De mémoire de gamer francophone belge, l’événement est mémorable et jubilatoire. Depuis mars dernier, trois jeux indés bruxellois et wallons ont franchi le redoutable cap de la sortie sur consoles et PC. Healer’s Quest, jeu de rôle liégeois en temps réel de Pablo Coma où le personnage du guérisseur occupe la tête d’affiche, Domiverse et Bombslinger cultivent l’art du développement garage. Avançant à l’ombre de plus grosses structures comme Abrakam (Liège) ou Fishing Cactus (Mons), cette poignée d’aventuriers course un Eldorado indé où les success-stories se raréfient mais existent encore (1). Artificiers du joypad, Andrea Di Stefano et Ferry Keesom ont posé Bombslinger le 11 avril dernier sur PC et Nintendo Switch. Après un développement de trois ans à l’itinéraire cabossé.
« Un jeu western spaghetti, avec des bombes. » Bombslinger emprunte la formidable tension ludique responsable du succès de Bomberman en 1985. Enfermé dans des labyrinthes, on y pose des bombes à retardement aussi dangereuses pour les adversaires que pour sa propre vie. « C’est assez ironique car la nature italienne, hollandaise et flamande de Bombslinger rejoint l’identité des westerns spaghetti qui étaient souvent des coproductions européennes« , souligne Ferry Keesom, le cofondateur hollandais de Mode4 installé à Bruxelles. « Comme Sergio Leone sur Fistful of Dollars , nous avons en outre travaillé avec un petit budget tout en nous inspirant d’un classique japonais. Leone a piqué un script d’Akira Kurosawa. Nous, c’était Bomberman. »
Claque
Aidé financièrement par le VAF/Game Fund, Bombslinger a également été porté à bout de bras par Andrea Di Stefano. Le développeur vient de déménager à Tokyo, tirant un trait sur sa vie bruxelloise où il a non seulement créé un studio gaming mais aussi les Brotarus, des Game Meetups mensuelles courues, où des créateurs en herbe confrontent leurs projets aux mains des visiteurs. Radieuses ou déconfites, les mines des développeurs qui s’y rencontrent tous les premiers lundi du mois à Saint-Gilles témoignent des montagnes russes émotionnelles inhérentes à la création d’un jeu. « Euphorique » selon Andrea, la première phase d’un chantier gaming consiste à créer un prototype jouable, pour le tester sur le public, lors d’événements comme la Made in Asia ou la GamesCom. Puis vient la réalisation du jeu et ses tâches répétitives. « Souvent les projets amateurs abandonnent à ce stade, explique-t-il. Même si cette phase est longue et ennuyeuse, tout se passait bien pour nous. On était tout le temps de bonne humeur. »
Cette période a été d’autant plus bénie pour le duo qu’il a décroché une aide de 90 000 euros du VAF. En même temps, il lançait l’idée -concrétisée- d’un premier stand belge à la GamesCom, le plus grand salon du jeu vidéo européen. Ferry organisait entre temps les premiers Belgian Game Awards à Anvers. Mais le binôme qui a quitté Fishing Cactus pour se lancer en solo s’est pris une énorme claque à la sortie de Bombslinger en Early Access sur Steam, il y a un an et demi. Cette release (2) s’est soldée par un total d’à peine… treize copies écoulées. « À ce moment-là, tu te dis que tes amis ne t’aiment pas« , se souvient Ferry . « Même si Bombslinger n’est pas un art game, il reste une expression créative profonde de notre personnalité. Je suis entré dans une dépression sévère pendant une semaine, d’autant que les ventes d’un jeu en Early Access déterminent sa visibilité lors de sa sortie finale. » Le caractère terriblement punitif du mode solo de Bombslinger explique peut-être ce manque d’affection. Reste à voir quel sera l’avenir du jeu sur console et PC.
(1) Le récent Into the Breach des créateurs de Faster Than Light s’est vendu à plus d’un million de copies selon Steam Spy.
(2) Qui permet aux développeurs de vendre leur jeu non fini à des fans sur Steam.
Demandant de constamment se mettre à l’abri (trois secondes, pas plus) après avoir posé une bombe et d’anticiper les déplacements des ennemis, Bombslinger boude toute sauvegarde et tout checkpoint. Malgré des points de santé supplémentaires (à décrocher en cours de partie) et une poignée de pseudo-vies bonus, on redémarre donc souvent au tout premier niveau après chaque mort. Une difficulté frustrante qui se double d’un hommage malhabile à Bomberman.
Face à Bomberman 94 sur PC Engine, Bombslinger aligne en effet des niveaux dont la cartographie se construit aléatoirement à chaque nouvelle partie. Cette « génération procédurale » endort le rythme qui faisait tout le sel de la saga sur 8 et 16 bits. Parfois scindés en deux pour accélérer les débats, les labyrinthes savamment dessinés de Bomberman provoquaient en outre des situations en état de grâce, où le joueur coinçait un ennemi dans une impasse. Ajoutant à sa recette de base des éléments d’action RPG proches d’un Zelda, Bombslinger déploie pourtant une foule de bonnes idées: une large variété d’adversaires, des armes secondaires emballantes, un multi-joueurs à haut potentiel… Le feu d’artifice aurait pu être national, comme un soir de 31 décembre. Il crépitera finalement au fond du jardin.
Édité par Plug In Digital / Mode4 et développé par Mode4, âge: 7+, disponible sur PC, Nintendo Switch et Xbox One. ***
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici