À la Big Brotaru, plongée dans le microcosme du jeu vidéo belge
Le petit monde du jeu vidéo belge s’est réuni en ce mois de juillet lors de la Big Brotaru, un événement de networking où les développeurs peuvent présenter et faire essayer leurs jeux aux curieux. Cette année, l’événement était une sorte de répétition générale pour la Gamescom, le plus grand salon européen du jeu vidéo qui se tiendra dans quelques semaines à Cologne. Nous avons pu tester quelques prototypes et versions de démonstration des futurs jeux noir-jaune-rouge…
Drôle de lieu pour un apéro ! C’est à reset.brussels, une ancienne banque servant de lieu d’occupation temporaire pour divers événements avant sa réaffectation, que se tient cette année la Big Brotaru.
La Big Brotaru, c’est la version grand format de la Brotaru, un rendez-vous mensuel de networking pour le milieu belge du jeu vidéo, inspiré de ce qui se fait déjà au Japon. Créé en 2014, il permet aux développeurs mais aussi à d’autres acteurs du secteur de se rencontrer pour créer un réseau. En huit ans, la fréquentation du rassemblement est restée à peu près constante (50-80 personnes), mais le marché belge du jeu vidéo, lui, a bien évolué.
En entrant, on traverse des salles vides et dépouillées au béton apparent, comme sur un chantier de construction. Au fond, des voix résonnent, et on aperçoit ce qui ressemble à un rassemblement de geeks de tous âges dans une ambiance décontractée.
Fabrice Daniel, trentenaire à l’air jovial, est parmi les vieux briscards du jeu vidéo wallon. « Quand je disais à mes proches que je faisais du jeu vidéo, ils me demandaient dans quel magasin ils étaient vendus ! Le développement de jeu, c’était un truc abstrait pour les gens. Aujourd’hui, on est plus ou moins mille dans l’industrie en Belgique, mais il y a dix ans on était moins de cent. Il n’y avait aucun écosystème, c’était un désert. » Mais les choses ont changé. Fabrice, d’abord employé chez Fishing Cactus, a fondé en mai dernier Maracas Studio, avec des projets ambitieux. Et il est loin d’être le seul à lancer sa boîte dans notre pays.
Cette croissance du secteur vidéoludique en Belgique, elle est en fait due en bonne partie à une prise de conscience récente par les autorités de l’intérêt économique de développer le jeu vidéo chez nous. Car dans un environnement favorable, l’industrie du gaming peut rapporter gros : depuis vingt-cinq ans, le crédit d’impôt québécois a permis à de gros studios, pourvoyeurs d’emplois, de s’implanter dans la Belle Province, et d’en faire un géant du secteur.
Ce n’est qu’en 2023 que le Tax Shelter du gouvernement fédéral belge, qui a déjà fait ses preuves dans le domaine du cinéma, sera applicable au jeu vidéo. Cependant, ces dernières années ont vu naître quelques aides de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais surtout du VAF, le fond flamand pour l’audiovisuel qui porte le secteur. C’est d’ailleurs l’un des rares en culture qui voit autant de collaborations entre le nord et le sud du pays, où l’anglais sert largement de lingua franca.
La petite famille du jeu vidéo belge
Si on ne retrouve pas les mille travailleurs du secteur ici, c’est que beaucoup, une fois leur carrière bien lancée, sont aujourd’hui trop occupés pour se déplacer à ce genre d’événement. Mais malgré la présence d’un ou deux « gros » studios, Larian (Divinity) en Flandre et Appeal (Outcast) en Wallonie, qui emploie plus d’une centaine de personnes, la Belgique reste un pays de développeurs indépendants. Malgré la taille grandissante de l’industrie, ici, tout le monde se connaît – ou se connaîtra bientôt – et tous s’accordent à dire que la Brotaru permet d’échanger des conseils entre développeurs et de trouver de nouveaux collaborateurs. C’est notamment le cas pour Coline Sauvand et Laurent Toulouse, du studio RamRam, qui sont également présents, et dont nous brossions le portrait dans un précédent article.
La Brotaru est aussi le bon endroit pour découvrir des métiers peu connus de la création de jeu vidéo. Pauline Marlière, par exemple, est freelance en narrative design. « Le narrative designer, c’est la personne de référence dans le studio pour tout ce qui concerne l’histoire. Je fais le lien entre le writer qui écrit l’histoire, et le game designer en leur disant que tel dialogue va intervenir à tel endroit, se déclencher par telle action, etc. »
On ne croise pas que des développeurs à la Brotaru. Hormis quelques journalistes, on rencontre aussi des profils plus inattendus comme un artiste numérique, un animateur du Point Culture… ou Sandra, joueuse compétitive de 25 ans, fan de Super Smash Bros et de Rocket League. Elle espère se faire des contacts pour se lancer dans la création d’événements eSport, après un bachelier en arts du cinéma et quelques galères sur le marché du travail à cause de la crise Covid. « Le jeu vidéo en Belgique, c’est un secteur où on n’a pas forcément besoin de diplôme, il donne l’impression d’être très ouvert ».
Les Belges dans les starting-blocks pour la Gamescom
Cette édition annuelle de la Big Brotaru est placée sous le signe de la Gamescom, le plus grand salon européen du jeu vidéo qui se tiendra du 24 au 28 août à Cologne. La FLEGA, une association flamande de soutien aux développeurs a notamment dispensé des conseils pour s’y préparer au cours d’une conférence dans l’après-midi.
Selon l’avancement de leur développement, tous les créateurs ne viennent pas faire la même chose au salon colonais. Fabrice Daniel en est au stade de la prise de contact avec les éditeurs pour ses deux projets : un jeu coopératif PC, et « un jeu d’aventure en 3D en monde ouvert sur Switch, avec un twist ». Ça promet ! « On a déjà en tête des éditeurs avec qui on a envie de travailler. La question est la suivante : est-ce qu’eux ont-ils envie de travailler avec nous ! »
D’autres vont présenter leurs jeux dans la partie publique de la Gamescom. Et ça tombe bien, car la Big Brotaru se veut une sorte de répétition générale pour pitcher son projet. Notamment avec une présentation sur scène, où chaque créateur peut montrer cinq minutes de pur gameplay. On y voit un roguelike dans un univers western (Bounty of One), un RPG dark aux graphismes pastel (oui, c’est possible et ça s’appelle Necro Story), un runner/shooter où il faut taper des mots au clavier pour tirer, un jeu de réflexion à base de cordes d’instruments en réalité virtuelle (Virtuose)… Et un jeu à l’humour complètement barré façon Rick & Morty, Space Control VR, où des extraterrestres rigolos se font malmener par le joueur, installé en VR dans un guichet de fonctionnaire à la Papers, Please !
Comme chaque année, la délégation belge sera présente sur le salon pour mettre en avant les créateurs du plat pays. Oui, vous avez bien lu : belge, et non flamande, wallonne ou bruxelloise ! « C’est surprenant mais elle rassemble vraiment les trois régions du pays », applaudit Guillaume Bouckaert, enseignant à la Haute École Albert Jacquard dans la section jeu vidéo, et organisateur de la Brotaru. « Il y a une belle unité entre les développeurs. Voilà un beau message pour nos politiciens ! »
Crash Test
La présentation terminée, les créateurs ont proposé certains jeux à l’essai du public, une excellente façon pour eux d’avoir des retours en direct. Nous avons ainsi pu poser la main sur certains d’entre eux, voire nous y immerger en réalité virtuelle.
Gazzlers
Gazzlers est le jeu le plus avancé qui était testable, avec une sortie prévue en 2022. Jouable exclusivement en VR, il s’agit d’un rail shooter au sens propre puisqu’on se trouve à l’arrière d’un train, d’où l’on dézingue des personnages à tête de virus dotés du QI de lapins crétins. Un défouloir immersif très fun dans un univers à la Mad Max.
Silhouette
Décidément, la réalité virtuelle inspire de nombreux indépendants belges. En quête d’un éditeur, Silhouette est un jeu de puzzle qui rappelle The Talos Principle. Ici, pour permettre au personnage en deux dimensions de se déplacer d’une porte à l’autre, le joueur doit, avec l’ombre de ses mains, créer des plateformes sur lesquelles il peut prendre appui. Le tout étant projeté sur des dispositifs mobiles à activer et faire tourner dans tous les sens. Un fameux casse-tête chinois de la Team Panoptes, qui a déjà signé le jeu Panoptic.
Village
Il n’est encore qu’au stade de prototype, mais il pique déjà la curiosité. Village reprend le concept qui a fait de Zelda Majora’s Mask un jeu culte : une boucle temporelle dans un village où chaque habitant vit sa vie en temps réel (enfin, avec des journées de 24 minutes). Il va falloir y résoudre une enquête policière en étant là au bon endroit, au bon moment…
Noé Gigi, le jeune créateur derrière Village a développé ce prototype seul durant son temps libre et espère en faire un jour son premier jeu commercialisable. On lui souhaite bien du succès !
Arthuria Dekimpe (st.)
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