RITHY PANH SE MET EN QUÊTE DE L’IMAGE MANQUANTE DU GÉNOCIDE CAMBODGIEN. ET RÉAFFIRME LE POUVOIR DU CINÉMA À LUTTER CONTRE L’OUBLI. BOULEVERSANT…

L’Image manquante

DE RITHY PANH. 1 H 30. SORTIE: 02/04.

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Rescapé des camps de la mort Khmers rouges, Rithy Panh s’est attelé, tout au long d’un parcours documentaire entamé en 1998 avec Site 2,et poursuivi, entre autres, par S 21 – la machine de mort khmère rouge ou Duch, le maître des forges de l’enfer, à un exemplaire travail de mémoire, immergeant sa caméra au plus profond de la tragédie vécue par le Cambodge au XXe siècle. Il n’en va pas autrement aujourd’hui de L’Image manquante, prix Un Certain Regard à Cannes en 2013, un film bouleversant en prise directe sur le génocide perpétré par le régime de Pol Pot. Dans sa note d’intention, Panh explique sa démarche en ces termes: « Il y a tant d’images dans le monde, qu’on croit avoir tout vu. Depuis des années, je cherche une photographie prise entre 1975 et 1979 par les Khmers rouges, quand ils dirigeaient le Cambodge. A elle seule, bien sûr, une image ne prouve pas le crime de masse; mais elle donne à penser. A bâtir l’Histoire. Je l’ai cherchée en vain dans les archives, dans les papiers, dans les campagnes de mon pays. Maintenant je sais: cette image doit manquer. Et je ne la cherchais pas -ne serait-elle pas obscène? Alors je la fabrique. Ce que je vous donne aujourd’hui n’est pas une image, ou la quête d’une seule image, mais le récit d’une quête: celle que permet le cinéma. »

Lutter contre l’effacement

En résulte un film singulier, avec en son coeur les souvenirs personnels du cinéaste, à compter du 17 avril 1975, lorsque les Khmers rouges pénétrèrent dans Phnom Penh. « Il n’y a pas eu de cris de joie, mais une attente silencieuse »,observe le commentaire du film(1). La suite sera une plongée dans l’horreur, Pol Pot et ses séides instaurant une dictature impitoyable, à laquelle un cinquième de la population cambodgienne ne survivra pas.

Pour témoigner de l’indicible, et à défaut donc de cette image manquante, Rithy Panh a imaginé un dispositif original, recourant à des petites figurines de glaise modelées par le sculpteur Sarith Mang pour combler les blancs. Assorties à des bribes d’archives, elles racontent l’histoire de sa famille, disparue dans les camps de travail, et un drame intime et collectif à la fois, que ponctuent les échos d’une sobre voix off, contrepoint sensible aux atrocités d’un régime voué à la déshumanisation. D’une confondante simplicité, le procédé n’en apparaît que plus fort: si, comme le dit encore le commentaire, « le récit est difficile », la vision de L’Image manquante dispense une émotion profonde, tout en réaffirmant, lumineusement pour le coup, la capacité du cinéma à lutter contre l’effacement -cet oubli au coeur de l’utopie khmère. Partant, ce film bouleversant est également indispensable.

(1) LE TEXTE DE L’IMAGE MANQUANTE, REVU PAR RITHY PANH AVEC CHRISTOPHE BATAILLE, EST ÉDITÉ CHEZ GRASSET.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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