L’ANVERSOIS FELIX HUYBRECHTS A FONDÉ STARMAN RECORDS, RESSUSCITANT DES VIEILLERIES BELGES DES SIXTIES ET AU-DELÀ, COMME LE PREMIER GROUPE D’ARNO. RENCONTRE CHEZ UN ARCHÉOLOGUE QUI S’INTÉRESSE AU MARKETING.

« Avant qu’il n’en devienne le chanteur, le premier groupe d’Arno, Freckle Face, faisait une sorte de prog rock, mais quand il y a débarqué avec son copain guitariste Paul Couter, les choses ont glissé vers le blues. Ils ont enregistré leur album en une après-midi à Gand avec des étudiants en son -l’un d’entre eux est devenu chef technicien à la VRT- sans mixage, comme un truc live. Pendant la session, un des musiciens a failli mourir électrocuté. » Dans son salon anversois, Huybrechts, 50 piges, fait ses histoires de l’oncle Felix. « Arno n’est pas vraiment intéressé par le passé, donc pour la licence, j’ai dû aller voir son complice Paul Couter, son ancien manager, Bobo, et l’actuel. J’espérais qu’en France, la réédition fonctionne un peu, parce que quand même Arno y est Chevalier des Arts et des Lettres et que je pouvais présenter ce vieux disque à un autre public, mais non… » Ceci dit, Freckle Face -album éponyme- a marché en Belgique et même un peu aux Pays-Bas: forcément, le 33 Tours original, quasi introuvable, planait à des sommes folles. « Je fais essentiellement des rééditions en vinyle -avec une combinaison download- parce que le CD est un objet globalement dégradé, trop souvent vendu avec un magazine pour deux ou trois euros. D’ailleurs, pour l’immense majorité de mes rééditions -généralement pressées autour de 1000 exemplaires-, je suis reparti des 45 ou des 33 Tours. Les bandes originales ont pratiquement toutes disparu ou ont été recyclées: les labels des années 60 considéraient souvent que le rock n’était qu’une mode passagère et ces enregistrements leur paraissaient sans valeur aucune. »

Anversois certifié (1963), Felix baigne initialement dans la collection parentale: Glenn Miller, Vera Lynn, les chansons italiennes et le « précurseur de James Last, Bert Kaempfert. Mais pour eux, la musique n’était qu’un accessoire apte à combler le silence. » Ado, il découvre le glam des Osmonds, Slade et Rubettes, et poursuit sa quête en bon teenager seventies via le prog rock façon ELP, Yes et Genesis « période Peter Gabriel« . Une new wave plus tard, cet aficionado de Lou Reed joue dans un groupe moins mystérieux que son nom -Secret Life- et s’embarque dans des études d’archéologie à la VUB bruxelloise: « J’ai laissé tomber après un an, et j’ai alors travaillé pendant dix ans comme journaliste à Backstage Music Magazine. »

Future vintage

L’étape suivante, c’est quinze saisons au service d’une multinationale du jeu dont l’épicentre est à Seattle: en dehors du service, Felix y rencontre Krist Noveselic ou Mark Lanegan. « Quand la boîte a fini par me virer, j’avais près de 50 piges et je me suis demandé ce que j’allais faire de ma vie. J’avais l’idée d’un label mais je ne savais pas trop où commencer: il faut une personnalité pour se positionner sur le marché et là, je me suis basé sur mon expérience en marketing et en communication. J’ai approché les magasins, sans dévoiler mon idée et j’ai fréquenté le Muziekcentrum Vlaanderen, une institution de la Communauté flamande qui possède, en principe, un exemplaire de tous les disques de groupes belges jamais sortis… » La compagnie, Starman Records, qui sort son premier titre il y a une bonne année, sera donc dédiée à la réédition vintage. Et strictement belge. « Lorsqu’on parle des sixties chez nous, il s’agit toujours des mêmes: Ferré Grignard, The Pebbles ou Wallace Collection. Même si cela n’était pas vraiment pris au sérieux à l’étranger, je me suis rendu compte que cette culture belge avait produit beaucoup de choses… »

Décembre 2013 et Starman Records lance son Belgian Vaults-Volume Three, toujours avec le même critère qui préside au fonctionnement du label: « Proposer des chansons d’avant qui soient écoutables au XXIe siècle, qui soient encore connectées avec le son d’aujourd’hui. C’est plus rarement des morceaux de face A des singles parce que c’était généralement le domaine commercial géré par les managers de l’époque, comme carte d’identité pour pouvoir faire tourner les groupes, alors que ceux-ci exprimaient davantage leur personnalité en face B! L’album n’était pas forcément immédiat: regarde les Pebbles -groupe anversois fameux-, ils ont dû sortir une trentaine de 45 Tours contre seulement deux 33 Tours, un format qui semblait alors réservé aux stars comme les Beatles ou les Stones. » Sur ce troisième volume de la Belgique vintage, on trouve entre autres « la seule star luxembourgeoise » et deux frères portugais. Soit dans l’ordre, Leslie Kent et Jess & James… Le premier, de son vrai nom Guy Theisen, est le chanteur extravagant de The Carriage Company: « C’était une sorte de Herman Brood du Luxembourg, explique Felix Huybrechts. Après sa mort en 2006, un documentaire l’a présenté sous le sigle « Sexe, alcool et blues ». C’était aussi une époque où les managers prenaient fréquemment 80 % du cachet du groupe en live, les 20 % restants étant partagés entre les musiciens… » Un des beaux moments de ce volume 3 des Belgian Vaults est amené par Jess & James, deux frères portugais -Antonio et Fernando Lameirinhas- dont les parents fuient la dictature de Salazar pour s’installer à Charleroi à la fin des années 50. Le morceau proposé, The Question, est une pièce pop excentrique de qualité internationale, qui donne envie de redécouvrir une discographie plus large. Comme on peut l’espérer de la dizaine de sorties annuelles planifiées par Starman. Pas uniquement du rétro: hormis un quatrième volume des Belgian Vaults déjà en chantier, Felix annonce la réédition de Lavvi Ebbel -groupe flamand 80’s- et un objet plus actuel. « Mauro Pawlowski (de dEUS, ndlr) est venu me trouver avec l’idée d’un projet baptisé Hitsville Drunks, influencé par la fin des années 70 et le début des années 80: ils sont en concert le 25 décembre au Trix à Anvers au moment où un single sortira sur cassette, support dont c’est d’ailleurs le 50e anniversaire. » Ouaip, qui sait où le rétro belge peut aller?

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TEXTE Philippe Cornet

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