Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ADELLE WALDMAN SONDE LE PETIT MILIEU LITTÉRAIRE BROOKLYNIEN DANS UNE COMÉDIE DE MoeURS VUE AU MASCULIN ANGOISSÉ. LU ET APPROUVÉ PAR LENA DUNHAM.

La Vie amoureuse de Nathaniel P.

DE ADELLE WALDMAN, ÉDITIONS BOURGOIS, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR ANNE RABINOVITCH, 336 PAGES.

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Il paraît qu’à Brooklyn, c’en est même devenu une expression: « Ne fais pas ton Nate! » Nate (Nathaniel P.), c’est l’anti-héros du premier roman d’Adelle Waldman, journaliste new-yorkaise de 37 ans. C’est bien simple: en quelques mois, son livre est devenu ce qu’on appelle un phénomène, sacré l’un des meilleurs de l’année par le New Yorker, Slate ou le Guardian, chaudement recommandé par Jay McInerney ou Jonathan Franzen. Indice qui ne trompe pas: sur la cover de l’édition anglaise, c’est la copine Lena Dunham qui y va d’un blurb dithyrambique. Une cooptation bienvenue (impossible de parler de trentenaires torturés de Williamsburg sans en référer à Girls aujourd’hui) et qui montre que Waldman a su capturer dans ses lignes quelque chose comme l’air du temps. De son temps. Soit le milieu intello-littéraire du Brooklyn des années 2010, qu’on pénètre dans le sillage de Nathaniel Piven, écrivain et trentenaire célibataire (qui le reste rarement). Son premier livre est sur le point d’être publié, et Nate atteint enfin au Graal -de toutes les soirées et collaborations qui comptent, il a désormais accès aux femmes les plus désirables. Soudaine abondance qu’il compte bien explorer, jusqu’au jour où, par l’entremise de l’une de ses ex, il rencontre Hannah, aspirante écrivain qui vient profondément questionner ses représentations du couple -de l’engagement, de la fidélité…

Progressisme bobo

On a beaucoup convoqué Jane Austen pour introduire Adelle Waldman: de l’Angleterre géorgienne à Brooklyn, une même valse complexe des relations et une exploration ironique de la psyché sentimentale. A ceci près que Waldman épouse un point de vue masculin singulier (La Vie amoureuse de Nathaniel P., c’est un peu comme si Orgueil et préjugés était entièrement pris en charge par Fitzwilliam Darcy), qui finit par s’afficher comme un type sociologique de son époque. Séducteur narcissique, indécis, un peu maso et souvent exaspérant, Nate accuse les femmes d’une idéalisation tyrannique de l’amour -jeu social dont elles seraient désormais selon lui les seules à tenir les rênes.

Partant de tout le potentiel cliché et poseur de son sujet, le livre prend toutefois rapidement de la hauteur. Bien sûr, on assiste aux brunchs (un « must social« ) de progressistes bobos qui débattent de la saturation des smartphones avant de convoquer Nathaniel Hawthorne, tout en se demandant si lire Lolita vaut mieux que regarder un docu animalier. Une suite de tableaux référencés que l’on trouvera, au choix, délicieusement futiles ou prospectivement fascinants (ne lit-on pas Edith Wharton aujourd’hui en partie pour sa peinture des codes d’une certaine société new-yorkaise du début XXe?). Appuyant la conviction d’Aurit, une amie de Nate qui lui assène un jour que « les relations ne sont pas un sujet futile« , Adelle Waldman applique à ces dernières un filtre sociologique, interrogeant tour à tour la survivance des castes (Nate est un fils d’immigrés passé entre les murs de Harvard), les contradictions du post-féminisme (sous un vernis progressiste, Nate envie les misogynies de Philip Roth et Norman Mailer) ou les paradoxes du libéralisme sentimental (anti-capitaliste convaincu, Nate reproduit à l’endroit de ses conquêtes la logique de l’obsolescence programmée). Brillante, gentiment cynique, (ultra)lucide, Adelle Waldman est une nouvelle voix à suivre. Peut-être pas la voix de sa génération; assurément « une » voix d' »une » génération. Comme dirait l’autre.

YSALINE PARISIS

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