Vers un marché des concerts à deux vitesses? (édito)
De prime abord, le live a tourné la page du Covid. Les salles de concert font à nouveau le plein. Mais à y regarder de plus près, le marché est surtout tiré par les grands noms du show-biz. Gare à la «premiumisation».
Quatre ans après la crise du Covid, la musique live a-t-elle retrouvé toutes ses couleurs? En apparence, on dirait bien que oui. Depuis 2022 et le retour dans le circuit des artistes internationaux, les salles de concert font à nouveau le plein. Un exemple parmi d’autres avec le Botanique, qui a non seulement retrouvé son activité d’avant la pandémie (223 concerts au premier semestre 2023, contre 221 pour la même période en 2019), mais a aussi vu sa fréquentation légèrement augmenter: 69 394 tickets écoulés pour le premier semestre 2023, soit 1 500 de plus qu’avant la crise. Même sourire du côté de l’AB, qui a accueilli plus de 205000 fans en 2023 (contre 186000 en 2019) et qui n’a jamais autant utilisé sa grande salle pour répondre à la demande.
La tendance, dopée par l’appel d’air après deux années de diète forcée, est similaire en France. Les amateurs de live étaient ainsi plus nombreux (+7%) en 2022 qu’en 2019 d’après le Centre national de la musique. Et 2023 a aussi enregistré une hausse des températures musicales. Les salles parisiennes se frottent les mains: l’Accor Arena, l’un des mastodontes où se produisent U2, Coldplay comme les phénomènes locaux -Orelsan, PLK…- ou les purs “produits” Spotify ou Deezer, a vendu 1,5 million de billets l’an passé. Un record.
Une correction post-Covid appelée naturellement à se tasser? Pas sûr. Pour 2024, les agendas sont déjà bien remplis (120 dates bookées au Bataclan contre 98 en 2023), laissant augurer à nouveau une année faste.
Tout va-t-il dès lors pour le mieux dans le meilleur des mondes? Il faut nuancer. Le Covid et les autres crises ont rebattu les cartes. Les chiffres sous anabolisants cachent des réalités plus contrastées comme des changements de comportement, tant du côté des artistes que du public. L’industrie musicale fait preuve de résilience, mais elle s’est gentrifiée au passage. La preuve par trois.
My Taylor is rich
À moins d’avoir vécu sous terre ces derniers mois, personne n’a échappé à la Taylor Swift mania. Les médias tiennent le registre de tous ses records. La petite fiancée de l’Amérique ne fait pas trembler que la croûte terrestre, elle bouscule aussi les règles d’un secteur qui se reconfigure encore plus que par le passé autour de ses méga vedettes, devenues des marques. Un peu comme une super Ligue des champions réservée à quelques clubs triés sur le volet, ces super-héros modernes captent une bonne part de l’attention et du gâteau. En France, ce sont d’ailleurs les grandes enceintes (et le rap) qui tirent le marché vers le haut.
Résidences service
Certes, Elvis ou Céline Dion avaient leurs habitudes à Las Vegas. La nouveauté, c’est que le modèle de la résidence s’exporte pour devenir partie intégrante de la tournée. Avantages: moins fatigant pour les artistes et de substantielles économies sur le poste logistique. On peut citer le cas d’Adele, qui a choisi de faire uniquement escale à Munich pour l’étape européenne de sa tournée, mais qui ne sacrifie pas pour autant en volume avec quatre fois 80 000 places. U2, qui a posé ses valises à The Sphere, s’inscrit dans la même logique d’optimisation financière. Ce qui n’empêche pas les prix des tickets de s’envoler. La faute au coût de la vie mais aussi au gigantisme et à la flambée des cachets. Là aussi cela rappelle le foot business. Avec des concerts événements de plus en plus réservés à un public aisé et international, qui n’hésite pas à sortir le chéquier pour un package premium. Une diversification du public à la source d’un nouveau tourisme musical très juteux. Ce sont les mêmes sans doute qui ont pu se permettre d’assister à la Coupe du monde au Qatar et qui pourront se faire racketter en gardant le sourire aux J.O. de Paris…
Les gagnants et les perdants
Tout le monde n’a pas retrouvé la pêche. Derrière les locomotives, c’est encore un peu la galère. Ce que confirme le bilan de Liveurope, la plateforme européenne (dont l’AB est un membre fondateur) qui soutient les artistes émergents: l’an passé, son compteur affichait 32 shows, soit encore quatre de moins qu’en 2019. À l’heure où la scène est devenue la principale source de revenus pour les artistes, c’est un peu inquiétant. À se demander si la petite clique des artistes hyper bankable n’est pas l’arbre qui cache une forêt dépeuplée et en voie (voix?) d’extinction.
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