Que valent les Confessions de Frédéric Beigbeder?
Accusé de misogynie, le romancier français répond dans un livre, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé, qui aligne les bons mots et les justifications réacs boiteuses. Au secours pardon!
Faut-il boycotter Frédéric Beigbeder? L’ex-pubard, devenu écrivain à succès (99 francs, Un roman français…), éditeur en vue et chroniqueur dandy médiatique est dans le viseur des militantes féministes. Officiellement, elles lui reprochent d’avoir signé la pétition des “343 salauds” contre la pénalisation des clients de prostituées et d’avoir éclaté de rire en 2003 lorsqu’une nouvelliste lui aurait confié avoir subi une agression sexuelle -une conversation privée dont il dit ne pas se souvenir. Son pedigree aristo, ses fréquentations encombrantes et ses cabotinages sur des sujets qui fâchent -la masculinité toxique, la déconstruction des genres…- n’ont évidemment pas aidé.
Cantonné dans un premier temps aux réseaux sociaux, le bashing a pris une vilaine tournure en 2018 quand sa maison du Pays basque a été badigeonnée de peinture et de messages d’amour du genre: “Ici vit un violeur”. Cette intrusion et ces graves accusations -sans fondement matériel, pour rappel- ont poussé l’ancien roi de la night, visiblement sous le choc, à écrire ses Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé (Albin Michel). À la fois pour clarifier ses idées -de droite, voire très à droite- et pour tenter de désamorcer cette affaire en la roulant dans la farine d’un humour “à l’ancienne”, comme on le dirait d’une moutarde qui se veut plus raffinée que le modèle standard mais qui pique quand même.
À la lecture de cet étrange objet qui oscille entre contre-offensive réac et autoflagellation d’un pitre en quête désespérée de rédemption, ce qui est sûr, c’est que sa cote auprès de la gent féministe n’est pas près de remonter. Au contraire. Lors d’une récente séance de présentation à Bordeaux, on a frisé l’émeute. Ce qui n’a pas empêché le collectif Collages Féministes local de recouvrir la façade de la librairie de slogans dénonçant, entre autres, “176 pages de branlette misogyne”. Ambiance.
Si on doit reconnaître une qualité au néo-confesseur, c’est d’avoir du courage. De ne pas cacher ses addictions nombreuses et variées -aux drogues, à la fête, à l’alcool ou au sexe-, d’afficher ses opinions catho-militaristes anti-cool, et de pointer, avec son sens de la formule aiguisée, les excès liberticides du camp d’en face -exemple: “La purification des œuvres ne nous empêchera jamais d’être humainement faillibles”.
Pour le reste, difficile d’adhérer à la manœuvre de contrition, aussitôt annulée par une rhétorique tirée par les cheveux qui suscite rapidement le malaise. Notamment quand il empile les contradictions et compare l’incomparable. D’entrée de jeu, il se dit lui aussi victime. D’avoir, enfant, été dragué par un pédophile et d’avoir subi un châtiment corporel de la part d’un prêtre sadique, ou plus récemment d’avoir été témoin d’un hold-up violent. OK. Mais en quoi ces traumas justifieraient que la moitié de l’humanité vive dans la peur d’une agression potentiellement mortelle? Aveuglé par son ego et la peur de perdre ses privilèges -ou est-ce l’effet d’une consommation abusive de Cosmopolitan?-, le grand échalas barbu minimise complètement l’ampleur du fléau. Pire, il tente une maladroite explication darwiniste pour justifier l’appétit sexuel des hommes, réduits à des pénis sur pattes, et invite les femmes à draguer pour rééquilibrer la balance et mettre fin à la guerre des sexes. On schématise mais c’est l’idée.
On a aimé le romancier, en particulier celui de Windows on the World, on a applaudi ses vannes caustiques, on est nettement moins client de l’essayiste rancunier trempant sa plume dans le formol. Au fond, Beigbeder n’a jamais réussi à dompter le pubeux qui sommeille en lui. Il vendrait père et mère pour une bonne punchline. Pas de chance, certains sujets douloureux s’y prêtent très moyennement.
Autre hypothèse, plus inquiétante encore: au nom de la défense de la laïcité et de l’ironie, mises en péril par le multiculturalisme et le déboulonnage du patriarcat, certains intellectuels seraient prêts à pactiser avec le diable. L’évolution nauséabonde de Michel Houellebecq, qui ne cache plus ses accointances avec l’extrême droite, plaide en ce sens. Au risque bientôt de n’avoir plus le choix, sur l’échiquier idéologique, qu’entre un wokisme enragé et une fachosphère glamourisée. Au secours!
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