Pourquoi autant de scènes d’ascenseur dans la fiction?
Lieu clos et exigu, l’ascenseur est le lieu de toutes les phobies et de tous les fantasmes. Films, séries… en jouent abondamment. Quel étage?
C’est le genre de situation qu’on a tous vécue un jour ou l’autre: lors d’une soirée, dans les transports en commun ou simplement à la machine à café du bureau, votre interlocuteur, qui n’est pourtant pas un proche, a décidé sans vous concerter de briser physiquement la glace. Son visage posté à quelques centimètres bien trop courts du vôtre, il vous parle non seulement à portée de voix -normal- mais aussi d’haleine, de parfum et de postillons. Il est parfois tellement proche que vous pourriez compter ses plombages.
Oubliant les règles les plus élémentaires de la proxémie -la juste distance sociale à adopter en fonction du lieu et du lien qui unit les personnes présentes, un concept théorisé par l’anthropologue américain Edward T. Hall dans les années 60-, l’importun viole ainsi allègrement votre espace intime, même sans qu’il y ait contact corporel au sens propre. Résultat: malaise, nervosité et furieuse envie de fuir.
Si le volume sonore et le taux d’alcoolémie augmentent le risque de tomber nez à nez -hum, hum- avec un individu collant, certains n’ont toutefois pas besoin d’“incitants” pour imposer cette promiscuité. C’est dans leur nature, par exemple quand ils veulent affirmer gestuellement leur supériorité -Trump est un bon exemple. À moins que ce ne soit culturel. On n’a en effet pas la même définition du body language autour de la Méditerranée qu’au Japon pour prendre deux extrêmes.
Moyennant quelques ruses -invoquer un besoin pressant, reculer discrètement pour rétablir le no man’s land, reconnaître quelqu’un dans la foule à qui on avait justement un truc urgent à dire…-, on peut facilement s’extraire du guêpier. Mais il est un lieu où il n’existe aucune échappatoire et où l’embarras proxémique est quasiment incontournable: l’ascenseur. Le temps de la montée ou de la descente, les secondes sembleront toujours interminables. Même à deux dans cet espace exigu, c’est encore un de trop. Il vaut d’ailleurs mieux être plusieurs pour diluer la gênance et s’éviter les silences assourdissants. Si l’autre est un inconnu, le small talk se limitera à un “bonjour”, “bonsoir” rapide. S’il figure dans le spectre des connaissances, un petit point météo -ou tout autre sujet inoffensif relevant du registre de la communication neutre- s’imposera. Une manière de “faire lien”, de montrer ses intentions pacifiques et de combler la peur primale du vide accentuée par cette promiscuité imposée.
La pub, le cinéma et les séries regorgent de scènes d’ascenseur. D’abord parce qu’elles ne coûtent pas cher à produire -c’est ce qui explique sans doute pourquoi on en compte 59 dans Mad Men. Ensuite parce qu’elles permettent de filmer une conversation en un seul plan, les personnages étant en général côte à côte face à la porte (si un intrus regarde la cloison, inquiétez-vous). Enfin et surtout, parce qu’elles servent la dramaturgie, justement parce que l’abolition de la distance brouille les repères et embrase l’imagination. Voilà pourquoi on en trouve aussi bien dans la science-fiction (Rey et Kylo Ren partageant leurs doutes dans Star Wars: The Last Jedi), dans les films d’horreur (en particulier De Lift du Hollandais Dick Maas avec son ascenseur tueur), dans les films d’action (Ocean’s Eleven) que dans les comédies (Vous avez un message). Une telle proximité avec des étrangers n’est pas naturelle. Dans ce bocal étanche, les émotions ne peuvent plus se cacher. Les corps deviennent impatients. Façon Top Gun et sa cabine servant de cadre aux préliminaires entre un Tom Cruise en sueur et son instructrice. Ou façon Drive et sa scène culte alternant la sensualité du baiser protecteur de Ryan Gosling et le déchaînement de violence qui suit.
Quand ce ne sont pas les interactions humaines qui se jouent dans ce décor de poche qui intéressent un réalisateur, c’est son potentiel anxiogène. Il suffit que l’ascenseur tombe en panne pour le transformer en piège infernal. La matrice du genre est bien sûr Ascenseur pour l’échafaud, dans lequel Julien reste coincé toute la nuit, compromettant le plan parfait qu’il avait mis au point avec Florence pour liquider son mari.
Un conseil: prenez l’escalier.
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