Les séries télé françaises affichent (enfin) leurs ambitions
Avec Sambre, D’argent et de sang et Tout va bien, la France vient de réaliser un hat trick. Le début d’une nouvelle ère plus inspirée pour les séries françaises? On croise les doigts.
C’est ce qu’on appellerait en foot une bonne séquence de jeu. Même si ça fait un peu mal de le reconnaître -le souvenir de la défaite de 2018 en demi-finale reste douloureux, et on hésite toujours à caresser le chauvinisme urticant de nos voisins dans le sens du poil-, la France vient d’aligner quelques dribbles ébouriffants sur la pelouse des séries télé.
Ceux qui ont déjà pu découvrir Sambre sur France 2 ou sur Auvio savent de quoi je parle. Dans cette minisérie sidérante, Jean-Xavier de Lestrade rembobine le film d’une affaire sordide -dite du “violeur de la Sambre”- pour radiographier les dysfonctionnements chroniques d’une société sûre de son patriarcat. Grâce à une construction panoptique limpide -chaque épisode épouse le point de vue d’un protagoniste différent-, sa reconstitution réussit à cerner la banalité du mal, mais surtout à nous glisser dans la peau de ces dizaines de femmes dont la parole, et donc les souffrances, ont été niées, par bêtise, par incompétence ou par solidarité virile, les condamnant à errer dans une sorte de néant existentiel.
Pas le temps de se remettre de ses émotions qu’une nouvelle production hexagonale nous cueillait aux abords du grand rectangle plat. Son nom: D’argent et de sang. Diffusée sur Canal+ et malheureusement encore inédite chez nous (mais qu’attend donc BeTV?), elle propulse la création sérielle française dans une nouvelle dimension. Ici aussi, une affaire judiciaire retentissante -l’arnaque à la TVA sur les quotas carbone, qualifiée à l’occasion de “casse du siècle”- nourrit un scénario rusé et haletant. Et ici aussi, le maître d’ouvrage Xavier Giannoli s’appuie sur le réel pour cartographier les maux qui rongent notre démocratie. En vrac: l’appât du gain, le capitalisme sauvage, le greenwashing, l’inconséquence politique, la vanité des puissants…
Une fable morale qui se dévore comme un thriller. Transfuge du cinéma, le réalisateur a utilisé les codes du 7e art pour dynamiter un cadre formel parfois étroit, rivalisant en intensité et en percussion avec l’école américaine. Au jeu des comparaisons, ce sont d’ailleurs des longs métrages qui surgissent à l’esprit, comme The Big Short ou Margin Call, ces réquisitoires énervés de la crise des subprimes. Même si esthétiquement, tout oppose ces deux séries, elles se rejoignent sur un point: la décence et la justice ne tiennent qu’à l’intégrité d’un seul personnage (le flic Olivier Gourmet d’un côté, le magistrat Vincent Lindon de l’autre) qui a le courage d’aller jusqu’au bout de ses convictions malgré de forts vents contraires.
Sur un terrain plus intime mais tout aussi sensible, je pourrais aussi faire mention de Tout va bien, autre bonne surprise de cette fin d’année. Ce n’est pas un hasard si derrière cette histoire de famille brisée, on trouve Camille de Castelnau, qui a bossé sur Le Bureau des légendes, dont on peut sans trop se tromper affirmer qu’elle marque un tournant dans l’Histoire des séries à la française en affichant des ambitions esthétiques et narratives peu vues jusque-là. L’indigence a longtemps dominé le PAF, par paresse, snobisme ou pour coller à l’antienne toxique qui voulait que la télé était réservée à “la ménagère de moins de 50 ans”, un slogan qui affolait les publicitaires. Qui se souvient ou a envie de se souvenir des Brigades du Tigre, de Vidocq ou de Hélène et les garçons (culte, mais uniquement au dernier degré du kitsch)?
Ce n’est pas faire injure que de rappeler cette vérité, les Français reconnaissant tacitement eux-mêmes le retard en plaçant seulement trois fictions locales -et encore, toutes post-années 2000, à savoir Le Bureau des légendes, Dix pour cent et Engrenages– dans le top 20 des meilleures séries de tous les temps (une statistique de juin 2023 qui figure en préambule du livre Les 1000 Séries à voir sans modération, paru chez Glénat).
C’est donc tout un secteur qui semble se mettre en mouvement. Tout bénéfice pour l’audiovisuel belge, qui pourrait en prendre de la graine -on attend toujours la confirmation des espoirs semés par Ennemi public ou La Trêve, la Nouvelle Vague(lette) belge. On va peut-être enfin pouvoir ranger au placard Joséphine, ange gardien et autres Capitaine Marleau. Ce n’est pas trop tôt.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici