L’échec, passage obligé de la réussite
L’échec a des vertus. C’est ce que nous disent en choeur plusieurs intellectuels. Il endurcit, rend plus humain et stimule la création. Echouer encore, échouer mieux…
Je ne le crierai pas sur tous les toits, et surtout pas sur le mien pour ne pas inciter le fiston à ramener des bulletins barbouillés de rouge -pour ne pas attirer le mauvais œil aussi-, mais l’échec a des vertus. Ce n’est pas moi qui le dis. Ni les philosophes classiques, qui assimilent souvent la chute à une faute morale (cécité coupable chez Platon, manque de volonté chez Descartes, dysfonctionnement de la raison chez Kant, etc.). Ni non plus les Bourdieusiens, qui attribuent d’office la responsabilité des revers des classes laborieuses à la confiscation du pouvoir économique et symbolique par les classes dominantes. Mais bien une série d’intellectuels contemporains qui ont pignon sur médias. Fini de porter la croix de ses déboires, le naufrage n’est pas une fatalité mais une opportunité de rebondir plus haut, clament en chœur ces nouveaux optimistes.
C’est notamment le mantra d’Annie Ernaux, qui affirme avoir vécu ses fiascos sentimentaux non comme des traumatismes mais comme des étapes vers une meilleure connaissance de soi. “Je crois davantage à la fécondité de l’échec qu’à celle de la réussite”, déclarait en 2022 à Philosophie Magazine le Prix Nobel de littérature. Charles Pépin, auteur en 2016 du best-seller Les Vertus de l’échec (Allary éditions), ne dit pas autre chose. Pour l’essayiste qui malaxe la philosophie sur France Inter et dans des BD grand public, il est même recommandé de “se hâter d’échouer”. S’appuyant sur des exemples inspirants (de Miles Davis à Andre Agassi en passant par le général de Gaulle), l’excellent vulgarisateur croit dur comme fer au pouvoir de la résilience. Sans leurs passages à vide, ces célébrités n’auraient tout simplement pas marqué l’Histoire de leur empreinte. Comme Sartre l’existentialiste, il plaide pour que chacun reprenne les rênes de son destin: si une voie se ferme, c’est qu’une autre s’ouvre. Là où l’essentialisme, et le culte de la réussite qui nous a longtemps servi de boussole, auraient tendance à faire de celui qui échoue un raté à perpétuité.
Le tabou qui a longtemps pesé sur nos défaillances, et alimenté la peur de se vautrer au point de paralyser les moins téméraires, serait donc en train de fondre comme le beurre dans la poêle. On notera en passant, et ce n’est sans doute pas un hasard, la proximité sémantique de ce discours avec le sabir utilisé dans les manuels de développement personnel. Lesquels ne manquent jamais une occasion de rappeler qu’en respirant bien fort ou en chassant les mauvaises ondes on peut toujours sortir par le haut des épreuves. Positive attitude toujours. Sauf que là où ces marchands de bonheur se gargarisent de slogans creux, nos intellos ouvrent le capot pour démonter le carburateur de nos hantises.
Un processus de déculpabilisation auquel participe également Claro, alias Le Clavier Cannibale. Dans un essai paru en janvier et affublé d’une titre-manifeste, L’Échec – Comment échouer mieux (éditions Autrement), le flibustier littéraire entonne le même refrain que ses camarades, traquant avec malice et érudition, notamment à travers ses propres expériences foireuses dans l’exercice toujours délicat et imparfait de la traduction, les faillites qui perfusent la création.
En mâchouillant avec difficulté l’actualité du jour, je me dis que si cette éthique permet d’alléger un peu notre charge mentale, ce sera déjà bien. Même si j’ai un peu de mal à voir immédiatement dans cet enchevêtrement de tracteurs en colère, de crapuleries systémiques et d’infortunes diverses, des passages obligés vers la lumière. Mais bon, j’appartiens à une génération encore marquée par le spectre du péché originel et terrorisée par la honte. À la réflexion, mieux vaut sans doute en effet prendre le risque d’échouer avec panache que de réussir médiocrement… ●
PS: Vous l’aurez remarqué, votre Focus a perdu quelques plumes, notamment du côté des grilles télé. Mais on a retenu la leçon de Pépin et consorts: pas question de rester sur un sentiment d’échec, on vous propose donc une solution. En partenariat avec Télépro, retrouvez l’intégralité des programmes de toutes les chaînes ici.
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