Le Festival de Cannes à l’écoute du monde et des femmes

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

A l’image de son palmarès, le Festival de Cannes a fait de la résistance en accordant une large place aux soubresauts du monde et au «female gaze».

Le Festival de Cannes a rendu son verdict. Il dégage un stimulant parfum de résistance qui met un peu de baume au cœur de cette époque globalement moche, molle et sinistrée. Résistance au pouvoir despotique et cruel des mollahs avec la Palme d’or attribuée sans discussion à Un simple accident de l’ultrarésilient Jafar Panahi, qui trouve une nouvelle fois la métaphore imparable pour flinguer un régime iranien aux abois. Résistance aussi à un certain conformisme esthétique et aux recettes visuelles trop bien huilées des plateformes de streaming avec plusieurs films du palmarès se caractérisant par des choix formels audacieux, même si aucun n’a véritablement renversé la table, comme l’odyssée poétique Resurrection du Chinois Bi Gan (Prix spécial), comme le trip mystique Sirât du Franco-Espagnol Oliver Laxe (Prix du jury) ou comme l’étourdissant et romanesque L’Agent secret du Brésilien Kleber Mendonça Filho (Prix de la mise en scène et Prix d’interprétation masculine).

Et surtout résistance aux assignations identitaires ou de genre imposées encore et toujours par le patriarcat, cette bête blessée donc plus dangereuse que jamais. Un parti pris politique asséné avec grâce et délicatesse aussi bien dans le parcours émancipateur de cette jeune étudiante de banlieue qui cherche à concilier son homosexualité et sa foi musulmane dans La Petite Dernière de Hafsia Herzi (Prix d’interprétation féminine pour la révélation Nadia Melliti), que dans celui, tourmenté, hésitant, fragile, des cinq Jeunes mères qui se débattent avec leur maternité précoce dans le nouveau bijou d’humanité des frères Dardenne (Prix du scénario).

On retiendra aussi de cette édition en prise -et aux prises- avec le présent la confirmation d’une tendance susceptible de changer en profondeur le visage du cinéma: le passage derrière la caméra de plus en plus d’acteurs et surtout d’actrices. Hafsia Herzi en est une. Et elle est loin d’être la seule. Plusieurs étoiles du grand écran sont venues défendre sur la Croisette leur premier long métrage. En particulier Kristen Stewart et Scarlett Johansson. Elles avaient plus à perdre qu’à gagner.

L’actrice Kristen Stewart (à gauche) saute dans le grand bain de la réalisation avec The Chronology of water.

Signe que les mentalités évoluent, ces reconversions ne sont plus perçues comme de vulgaires caprices de stars qui voudraient se payer une forme de respectabilité artistique. En signant des films aboutis, nécessaires, incarnés, spectaculaires, les pionnières –de Jodie Foster à Noémie Merlant en passant par Greta Gerwig, Romane Bohringer ou Zoë Kravitz– ont fait rapidement taire les ricanements que déclenchaient ces changements de poste.

Leur statut de célébrité n’est plus une tare mais, au contraire, un moteur de changement. Déjà, cette génération d’actrices-réalisatrices rebat naturellement les cartes de la relation toxique qu’entretenaient trop souvent par le passé des réalisateurs tout-puissants et idolâtrés avec de jeunes comédiens et comédiennes sous (leur) emprise. Elles ont connu l’autre côté de la barrière et cette expérience les a vaccinées contre toute dérive autocratique. Autre évolution, qui n’est pas propre aux reconverties mais qu’elles amplifient: la féminisation du milieu offre un contrepoint –et un contrepoids– bienvenu au «male gaze» qui imprègne encore une large part de la production. Ce «contre-regard» corrige une injustice flagrante: la sous-représentation de la sensibilité de la moitié de la population mondiale.

La fête du cinéma est terminée. A nous à présent de faire la fête au cinéma en allant voir –de préférence en salle– ces histoires qui défrisent, dérangent, secouent, émeuvent. Le plus court chemin vers la connaissance du monde et de soi. Comme disait Quentin Tarantino: vive le cinéma! 

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