L’Amour sauvera-t-il le monde ?
Et si la solution à l’actu oppressante et anxiogène se trouvait dans l’amour? Chanteurs et cinéastes montrent la voie. «Un peu de love et de tendresse», implore Eddy de Pretto.
On pensait l’Amour définitivement hors-jeu. Victime à la fois du désenchantement général, de l’effondrement des institutions qui en assuraient la promotion -le mariage, le modèle familial traditionnel…- et d’une forme de cynisme qui tourne en ridicule toute trace de sentimentalisme. Au mieux, il fallait se contenter de l’autopsie -souvent intellectuellement stimulante il est vrai- du cadavre laissé après l’implosion d’un couple, ou d’un simulacre de romantisme fabriqué à la chaîne pour un public (jeune et) crédule, et irriguant des “rom-coms” sucrées ou les romans aux 50 nuances de gris de la “new romance”.
Quelle surprise dès lors de voir refleurir des boutons de roses sur ce champ de ruines sentimental. “L’amour est mon chez-moi”, clame sans ironie Feu! Chatterton sur J’ai tout mon temps, extrait de la B.O. composée pour La Grande Magie, comédie loufoque autour de l’amour -tiens, tiens…- signée Noémie Lvovsky (inédite chez nous). “Maintenant/Que le soleil est couché/J’ai le temps/De t’aimer pour une éternité/Maintenant/Que l’amour est né/Il ne peut plus s’éteindre/Il me brûle de joie, il me brûle de joie.” Il n’y a pas si longtemps, cet étalage de sensiblerie aurait été interdit. Ou à prendre au minimum au quinzième degré…
À sa façon touchante de sincérité un peu crasse, Eddy de Pretto crie lui aussi son besoin de réinvestir le terrain de l’intime sur un album “feel good”, Crash cœur, qui n’a pas peur de pincer la corde sensible, emboîtant le pas à d’autres artistes qui ont dernièrement orienté le micro côté cœur, parmi lesquels Damso, Jamila Woods ou Disiz. En 2022, le rappeur se livrait comme jamais sur un album-confidences à contre-courant du rap malabar, tout simplement intitulé L’Amour, sorte de journal de bord de sa love story, avec ses épiphanies et ses crevasses -car oui, malgré ce retour de hype, les histoires d’amour continuent de finir mal en général.
Faut-il voir dans ce néo-romantisme un antidote à l’avalanche de fureur, de haine qui se déverse sur les écrans et déborde dans le réel, une manière de réoxygéner l’atmosphère et de s’extraire de la fange en la couvrant d’un tapis de pétales? “Tenter l’amour, parler de tendresse, essayer la poésie aujourd’hui, dans ces moments si violents et compliqués, ce n’est pas une mince affaire…”, nous confiait récemment de Pretto. Après avoir commenté les contorsions du présent et flirté avec le militantisme gay sur ses albums précédents et dans la vie, et s’en être pris plein la figure en retour, le titi parisien a opté pour plus d’insouciance (et de sexe). Trouvant un écho favorable auprès d’un public sans doute surpris par ce virage charnel mais au fond soulagé de mettre à distance, le temps de quelques sucettes pop au moins, le bruit et le fracas de l’actu.
On pourrait encore citer cette exposition qui se tient jusqu’en février prochain au Musée des Confluences à Lyon. Mêlant perspectives scientifiques, artistiques et sociétales, A nos amours ambitionne de faire le tour de la question et de percer les mystères de l’emballement des coeurs. Un indice de plus du regain d’intérêt pour le plus fragile et le plus puissant des sentiments, envisagé comme antidote à la marée noire d’aigreur et d’intolérance qui nous menace. «Un peu de love et de tendresse», clame Eddy de Pretto.
La quarantaine du romantisme pur jus toucherait donc à sa fin. C’est déjà l’ostracisme frappant l’amour courtois qui avait poussé en 1977 Roland Barthes à écrire ses célèbres Fragments d’un discours amoureux. Il fallait oser se faire l’avocat des grands sentiments dans une France post-soixante-huitarde qui ne jurait plus que par la dérision et le plaisir immédiat des sens. Invité d’Apostrophes, il déclarait d’ailleurs ceci: “Dans l’époque actuelle, cette espèce d’amour passion, d’amour romantique, n’est plus à la mode. (…) Ce qui apparaît obscène aujourd’hui, ce n’est pas la sexualité, c’est la sentimentalité.” Sans doute que le sémiologue verrait d’un bon œil cette volée de chansons qui content à nouveau fleurette. Et s’amuserait de la curiosité suscitée par la découverte de ces lettres d’amour adressées à des marins français faits prisonniers par les Anglais en 1758, et oubliées depuis dans un carton des Archives britanniques.
Un peu de légèreté dans un monde de brutes. Un refrain entonné également dans le cinéma d’auteur, qui en pince ces derniers temps pour les histoires d’amour force 12. Comme dans Simple comme Sylvain, l’idylle sexy et transclasse de Monia Chokri. Ou encore comme dans Le Temps d’aimer de Katell Quillévéré, où un couple trouve la bonne température émotionnelle et sensuelle malgré des vents contraire. “L’amour sans condition, quoi qu’il arrive…”, chantait déjà 2Pac sur Unconditional Love. Chiche?
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