
Images dans le style Ghibli, textes littéraires bluffants: l’IA peut tout, et c’est pour ça qu’il faut s’en méfier
L’IA n’en finit pas de reculer les limites. ChatGPT vient de démontrer sa puissance en copiant à la perfection le style Ghibli (sans accord de licence) et en écrivant des nouvelles qui ont bluffé le Goncourt Hervé Le Tellier.
L’homo numericus est comme saint Thomas: il ne croit que ce qu’il voit. Tant qu’on ne lui a pas prouvé par a + b que l’IA était potentiellement dangereuse, que sa prolifération sauvage menace des pans entiers du marché du travail (les emplois administratifs mais aussi toutes les professions à haute valeur créative ajoutée) et risque de corrompre les principes qui sont au cœur des démocraties libérales en diffusant à grande échelle le poison de la réalité alternative, il préférera croire au miracle d’une technologie autorégulatrice et par nature bienveillante. Après tout, il faut vivre avec son temps comme dirait Darwin…
L’attrait de la nouveauté, l’effet de sidération, le goût du risque, la perspective aussi de déléguer aux bots les tâches ingrates et répétitives –ce qui était aussi la promesse des arts ménagers au début des Trente Glorieuses, et qui n’a pas fondamentalement diminué la charge mentale des femmes…–, et accessoirement le petit frisson de se prendre pour Picasso, Elliott Erwitt ou John Lennon sans trop se fatiguer, tout ça a contribué à ce qu’on accueille dans notre salon le cheval de Troie. Le principe de précaution qui devrait prévaloir face à cette bombe atomique éthique a eu autant d’effet qu’un panneau d’interdiction de baignade un jour de grande canicule. Seule l’Europe, via l’AI Act, a bien tenté de freiner le mouvement. Mais pas sûr que cette réglementation effraie beaucoup les entrepreneurs de la tech américains et chinois ou les hackers russes.
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Si prise de conscience il y a de la nécessité d’un débat sur les risques pour l’humanité de laisser les développeurs continuer à jouer aux apprentis sorciers, elle viendra peut-être de performances qui frappent l’imaginaire en démontrant la supériorité de la machine sur l’Homme –un scénario maintes fois esquissé dans la (science-)fiction mais qui semble toujours improbable dans la réalité. Comme quand le 11 mai 1997, Deep Blue, l’ordinateur le plus puissant d’IBM, battait le champion du monde d’échecs Garry Kasparov à la surprise générale. Notre vanité en a pris un coup et certains ont commencé à s’interroger.
Deux nouvelles prouesses hallucinantes de l’IA générative devraient pareillement nous alerter: la première, c’est la nouvelle fonctionnalité de ChatGPT qui permet de transformer n’importe quelle image en dessin inspiré du style Ghibli. On a ici tous les péchés réunis: OpenIA n’a pas de licence avec le célèbre studio japonais; graphiquement, le résultat est troublant, questionnant le rôle des dessinateurs; et enfin, le succès a été tel que Ia société dirigée par Sam Altman a dû limiter les demandes pour ne pas faire fondre ses serveurs et malmener encore un peu plus la planète…
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L’autre dinguerie se joue sur le terrain littéraire: à la demande du Nouvel Obs, le Goncourt Hervé Le Tellier a affronté l’IA à partir de quelques instructions sommaires. Les textes sont à lire sur le site de l’hebdo. «Oh la vache! C’est bluffant!», s’est exclamé le romancier en découvrant les deux versions produites par son adversaire. Si le prompt est encore un peu barbare, l’originalité des propositions tient la comparaison avec une bonne partie de la production éditoriale, laissant entrevoir à terme le grand remplacement des écrivains. A-t-on envie de ça? De récits fabriqués à la chaîne par des automates surpuissants? Est-on prêt à sacrifier des millions d’emplois, à brader notre imaginaire et à se laisser enfermer puisque l’IA puise toujours dans le même pot?
«J’ai le sentiment que nous approchons de la fin des temps. Nous autres humains avons perdu la foi en nous-mêmes.» Ainsi parlait en 2016 Hayao Miyazaki, le cofondateur du… Studio Ghibli, après avoir découvert une vidéo réalisée par IA. Prémonitoire…
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