Georges-Louis Bouchez veut privatiser la culture. Pour mieux la désarmer?

Georges-Louis Bouchez rêve d’une culture moins politisée et moins subsidiée. On voit ce que ça donne aux Etats-Unis… © BELGA
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Le patron des libéraux, Georges-Louis Bouchez, a remis en question l’utilité d’un ministère de la culture, citant l’exemple des Etats-Unis. Avec quel objectif? La désarmer?

Ballon d’essai? Provocation gratuite? Il y a 10 jours, Georges-Louis Bouchez s’interrogeait dans Le Soir sur l’utilité de maintenir un ministère de la culture dans notre pays, prenant en exemple les Etats-Unis, superpuissance culturelle qui vit très bien sans. Cette déclaration incendiaire, qui compare des poires et des pommes, est révélatrice d’un climat ambiant «culturicide». Explications.

Le patron du MR, prenant sans doute ses rêves ultra-libéraux pour la réalité, ou une réalité en devenir, sous-entend deux choses: un, que le secteur privé ferait mieux le job que les pouvoirs publics. Dans la patrie du MoMA et de Netflix, l’économie de la culture repose en effet sur deux solides jambes dépolitisées: un mécénat princier d’un côté, une industrie du divertissement puissante et planétaire de l’autre.

Le problème, c’est que la Belgique n’a ni l’un ni l’autre. Les grands patrons belges n’ont soit pas les poches suffisamment profondes, soit pas la fibre artistique assez développée -ou les deux- pour assurer l’essentiel du financement des musées, du patrimoine et de la création. Le soutien des entreprises, via le sponsoring ou via des associations comme Prométhéa, offre un complément souvent indispensable mais pas suffisant. Quant à l’autre atout des States, et bras armé de son soft power, à savoir une industrie florissante et technologiquement incontournable, il est évident qu’on ne peut pas compter dessus. La faute à un marché riquiqui et à un manque d’ambition, notamment politique.   

Second sous-entendu: cette privatisation corrigerait un déséquilibre idéologique. Le Montois agite le vieux chiffon d’une culture vendue à la gauche, trop élitiste car trop subsidiée. Mais la culture est progressiste par essence, les artistes étant là pour oxygéner la démocratie, pas pour flatter les puissants. Sous peine de verser dans l’académisme ou le décoratif. C’est toute la différence entre Audrey Hepburn, l’actrice pétillante et espiègle qui bouscule les stéréotypes féminins dans des comédies enlevées, et Audrey Hepburn, le modèle au sourire banal reproduit à des dizaines de milliers d’exemplaires dans un tableau pseudo-pop d’Ikea. Raccord avec sa vision dérégulée, le baron bleu suppose en outre que la main invisible du marché assurera naturellement l’adéquation entre une offre de qualité et une demande diversifiée. C’est ou naïf ou inconscient. Supposer que le public plébiscite spontanément ce qui le tire vers le haut, quitte à le secouer, est mal connaître la nature humaine. A moins que dans son chef, la culture ne serve qu’à anesthésier le peuple et à alimenter en friandises audiovisuelles les plateformes de streaming.

De plus, à défaut d’ultrariches éclairés (les Américains ont les Guggenheim et les Kenneth Griffin, les Français Bernard Arnault et François Pinault, nous on a… Mark Coucke), la voie tracée par GLB ouvre un boulevard à la standardisation de la création. Un processus auquel n’échappe pas son modèle, les studios hollywoodiens patinant dans la semoule des franchises, au détriment d’une production indépendante en voie de quasi disparition. La preuve : l’an passé, les Oscars couronnaient un film franco-européen soutenu pour moitié par des entités publiques, Anatomie d’une chute, qui n’aurait probablement eu aucune chance d’être financé outre-Atlantique. Et Emilia Pérez, de Jacques Audiard, est bien parti pour refaire le coup cette année.

Cette proposition antisystème s’inscrit hélas dans l’air populiste du temps. Ici c’est un Bouchez qui jette la culture en pâture, là c’est une Meloni qui fait pression pour déprogrammer une émission de la télévision publique où figurait un écrivain critique. Et là-bas, aux Etats-Unis, c’est un Musk qui fait l’apologie de l’extrême droite en Allemagne, ou un Zuckerberg qui retourne sa veste pour célébrer la culture viriliste, insultant au passage le mouvement #metoo. Même les Monthy Python n’aurait pu imaginer un scénario aussi invraisemblable. Dans le monde de fous qui se profile, la culture a besoin de plus d’argent public, notamment pour contrebalancer les fake news, certainement pas moins.

 

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