Laurent Raphaël
The Last of Us, Fallout, L’Eternaute…: pourquoi autant de fictions postapocalyptiques?
Les fictions postapocalyptiques prolifèrent comme des zombies. The Last of Us, Fallout, L’Eternaute… Serions-nous masochistes? Ou s’agit-il au contraire de transcender par l’imaginaire le climat anxiogène actuel?
C’est l’un de ces paradoxes dont homo numericus a le secret: alors que les JT, les sites d’info et les réseaux sociaux nous inondent de nouvelles anxiogènes et de sombres présages, la fiction enfonce le clou en multipliant les récits apocalyptiques. C’est contre-intuitif: on pourrait en effet supposer que le public, fatigué de s’entendre promis à un avenir sans avenir, plébiscite au contraire des histoires plus légères, déconnectées de tous les maux qui nous affectent ou nous attendent. C’est en partie le cas bien sûr, en témoigne le succès de la new et de la dark romance, des polars et sagas historiques, de la fantasy, des romans d’aventure ou des comédies parfumées à l’eau de rose, mais ces escapades loin du bruit et de la fureur voisinent avec un imposant contingent de narratifs à glacer le sang.
Désastre climatique, catastrophe nucléaire, épidémie, effondrement des ressources naturelles, rupture technologique… tout fait farine au moulin de scénarios envisageant le déclin de l’humanité. Quelques exemples récents, puisés à tous les étages de la création: Furiosa, Fallout, Silo, Zero Day, The Last of Us, L’Eternaute, Le Déluge, Islander… On le voit, on est loin de l’exception à la règle, d’autant que les prochains mois verront débarquer sur les écrans et dans les rayons leur lot de titres carburant aux zombies, aux spores, aux androïdes, au chaos politique, signe d’une vitalité du genre, et surtout d’une demande croissante. Citons notamment 28 Jours plus tard, troisième volet de la fresque postapocalyptique de Danny Boyle. Ou la suite de Je suis une légende, «survival» mutique avec l’omniprésent Will Smith.
Pour expliquer cet engouement, on pourrait avancer une forme de masochisme. Mais l’explication est un peu courte. Si on «s’inflige» à haute dose ce spectacle de la désolation, c’est qu’on y trouve notre compte. Ce qui tient peut-être à une différence notable avec le cortège d’infos charriées par les canaux médiatiques: autant les échos des guerres en cours ou à venir, des menaces pesant sur certaines espèces ou des projections alarmantes des spécialistes sur la biodiversité ou les risques d’effondrement financier plombent le moral, autant on peut absorber une quantité phénoménale de violence et d’hémoglobine, aussi réalistes soient-ils, sans se jeter sur sa boîte d’anxiolytiques dès qu’il s’agit de fiction. Comme si cette étiquette permettait de décaler le regard, de changer de registre. Le pire devient alors supportable, l’horreur ainsi «déréalisée» ouvrant même la voie à une forme de catharsis par la mise à distance de nos peurs profondes.
Mais ce n’est pas tout. Mettre en images, en mots ou en dessins ses pires cauchemars relève moins du geste nihiliste que d’une tentative de tester les futurs possibles comme on le ferait dans un laboratoire. On imagine la fin d’un monde (et non du monde) pour anticiper quelque part la renaissance. «De manière générale, les fictions postapocalyptiques posent toujours la question du monde que l’on veut refonder après, expliquait dernièrement l’historienne des images Fleur Hopkins-Loféron sur France Culture. Est-ce qu’on recrée un vieux monde porté par un idéal masculiniste et extractiviste? Ou bien une société complètement alternative, où l’on apprend à vivre ensemble, voire à normaliser la disparition de l’espèce humaine?» Une émission programmée suite à la panne d’électricité géante qui a frappé la péninsule Ibérique. Un mégacouac bien réel pour le coup, mais qui pourrait également être le point de départ d’une série d’anticipation terrifiante laissant entrevoir un futur hors du tout-électrique. CQFD.
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