Emmanuel Carrère, Laurent Mauvignier, Justine Lévy… Les ténors de la rentrée littéraire déclinent l’autofiction sous toutes ses formes. Un genre à part, décrypté en cinq points.
Après l’état des lieux de l’édition en Belgique et une sélection des 30 titres de la rentrée littéraire qui nous ont tapé dans l’œil, place à l’analyse des courants dominants qui traversent cette grande marée éditoriale annuelle. Si l’on zoome sur le contingent francophone, une évidence s’impose, qui suscite autant d’enthousiasme que d’agacement dans la presse depuis la mi-août: l’autofiction casse (encore une fois) la baraque. Excès de nombrilisme pour les uns, voie royale vers l’intime pour les autres. Emmanuel Carrère, Laurent Mauvignier, Régis Jauffret, Raphaël Enthoven, Justine Lévy, Amélie Nothomb… Les principales têtes d’affiche du cru 2025 ont choisi de grimper dans leur arbre généalogique pour y cueillir les fruits dont ils ont fait leur confiture.
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A croire que les écrivains et leurs éditeurs se sont réunis en secret l’année précédente pour décider de la «couleur» de la saison suivante, comme cela se pratique dans l’univers de la mode. Mais même si le milieu de l’édition est un microcosme où l’on cause de ses projets futurs, la nécessité impérieuse pour beaucoup d’auteurs de peler un œuf avec leur lignée explique davantage cette concordance troublante qu’un plan de bataille orchestré en coulisse par les services marketing des grandes maisons. Encore heureux.
Une telle soif d’introspection appelle quelques commentaires et réflexions plus ou moins pertinents.
1. Une exception française. Le virus de l’autofiction est principalement circonscrit à l’Hexagone. Même si les romans étrangers traduits ne représentent qu’une infime partie de la production romanesque mondiale, la différence de ton saute aux yeux: quand Emmanuel Carrère explore la cartographie de sa mère (Kolkhoze), Percival Everett revisite le classique Les Aventures de Huckleberry Finn en adoptant le point de vue de l’esclave (James).
2. Plus fiction qu’auto. C’est le paradoxe de ce genre qui embrasse aussi bien le récit à la première personne hyperréaliste –façon journal intime comme chez Hervé Guibert à l’époque, façon étude sociologique comme chez Edouard Louis–, que l’épopée intrafamiliale rapiécée de bouts de fiction. La dénomination «roman autobiographique» est d’ailleurs un bel oxymore qui sème la confusion (volontaire ou non) sur ce qui relève des faits avérés ou de la spéculation.
3. Bientôt en salles. Depuis toujours, le cinéma fait feu de tout bois littéraire. Logiquement, on peut donc s’attendre à voir cet étalage d’intimité finir sur les écrans. Ce sera le cas avec A pied d’œuvre, le nouveau film de Valérie Donzelli adapté de l’autobiographie de Franck Courtès, et qui vient de remporter un prix à Venise. Le public n’y verra toutefois que du feu, le changement de format diluant la dimension autobiographique dans une parabole plus universaliste.
4. Panne d’imagination? Depuis que le terme a été inventé par Serge Doubrovsky en 1977, le débat fait rage. Le genre cher à Christine Angot est-il une négation de la Littérature avec un grand «L»? Oui et non. Oui, s’il masque une entreprise de démolition. Non, s’il ouvre le champ romanesque des possibles. L’aventure est parfois au coin du couloir…
5. La justice s’en mêle. Si l’auteur ou l’autrice ne choisit pas sa tribu, ses membres ne choisissent pas toujours de figurer, rarement à leur avantage en plus, dans les pages du greffier familial. D’où le risque élevé de retours de bâton. Sous forme de querelles intestines, médiatiques, voire judiciaires (Christine Angot, Camille Laurens ou Régis Jauffret en savent quelque chose). On écrit ce qu’on veut dans la fiction, pas dans l’autofiction, qui a des comptes à rendre au réel.