Pourquoi la vie en solo séduit de plus en plus de femmes

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

La vie en solo n’est plus nécessairement une malédiction. Des artistes et des essayistes comme Keren Ann ou Lauren Bastide en vantent les vertus. Une nouvelle pierre dans le jardin du patriarcat.

On connaît l’expression: mieux vaut être seul(e) que mal accompagné(e). En général, on la réserve à celles et ceux qui viennent de se faire larguer. Pour tenter d’atténuer un peu la douleur. Même si ce n’est évidemment pas une formule toute faite, farcie de sagesse populaire, qui va réparer les cœurs meurtris. D’autant que le ou la destinataire préférerait sans doute cent fois à ce moment-là être mal accompagné que tout seul à patauger dans son chagrin. Cette peur d’être éjecté de la cellule conjugale explique même souvent la longévité de certains couples, qui restent ensemble alors qu’ils n’ont plus rien à se dire, sinon des horreurs, comme mes grands-parents (paix à leurs âmes) ou comme les ménages dans l’imparable La Poison de Sacha Guitry, ou dans La Guerre des Rose, remise récemment au goût du jour par Jay Roach.

C’est dire si la solitude fait peur. Longtemps vue comme une anomalie, elle est associée à l’échec social, elle transpire l’exclusion subie, la relégation, la lose. Surtout pour les femmes, sur les épaules desquelles pèse dans l’inconscient collectif la responsabilité de la réussite–et donc aussi de la faillite–du modèle familial traditionnel. Il suffit de penser à la représentation de la sorcière, cet épouvantail du patriarcat: une femme seule qui vit à l’écart du monde civilisé. Indépendante donc dangereuse. L’essor urbain n’a rien arrangé. On sait que le poids de l’isolement est paradoxalement plus écrasant au milieu de la foule des grandes villes. Un spleen–une malédiction pour le genre féminin–très bien décrit par Alain Souchon en 1988 dans son tube Ultra moderne solitude. «Ça se passe partout dans l’monde chaque seconde/Des visages tout d’un coup s’inondent/Un revers de la main efface/Des fois on sait pas bien ce qui se passe/Pourquoi ces rivières/Soudain sur les joues qui coulent/Dans la fourmilière/C’est l’ultra moderne solitude.»

Mais tout ça c’était avant. Avant #MeToo, avant la vague queer, avant l’émergence d’un féminisme radical, avant le girl power, avant Virginie Despentes, avant la série The L Word, avant la réhabilitation des artistes effacées de l’Histoire, avant aussi la remise en question du patriarcat comme seul horizon possible. Logiquement, les principales victimes de cette mauvaise réputation du modèle solo sont les premières à le réinvestir, pour l’habiter, pour le réenchanter. 2025 pourrait ainsi bien être l’année de la consécration de la solitude heureuse. Keren Ann en fait l’apologie dès l’ouverture de son nouvel album, Paris amour, trousseau de ballades mélancoliques. A une relation sentimentale rapiécée, elle préfère «Cette affreuse habitude/Cette divine plénitude/La sublime solitude».

On nous rétorquera que les célibattants, un concept qui a fait florès au tournant des années 2000, et autour duquel tout un marché –de services et de produits– s’est développé, avait déjà déblayé le terrain. Oui et non. Le célibataire se définit par rapport au couple standard, alors que «les femmes seules d’aujourd’hui sont des pionnières, elles sont en train d’inventer de toutes pièces un mode de vie et d’identité», écrit Lauren Bastide dans son ode à la vie en solo assumée et joyeuse, Enfin seule (Allary Editions). Une revendication à «l’enfinsolitude» comme elle l’appelle qui passe par une émancipation du regard et du désir masculin pour déstigmatiser cet état civil. Une revendication qui fait écho à ce nouveau profil sociologique identifié par un psychiatre américain, l’otroverti, à mi-chemin de l’introverti et de l’extraverti. Ni renfermé sur lui-même ni en quête permanente de reconnaissance, il cohabite avec le monde mais cultive farouchement son indépendance.

On attend avec impatience l’opinion de Trump sur ces sujets…

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