Pourquoi autant de méchants dans les films et les séries
The Penguin, Joker, Kaos… Les méchants sont partout dans les films et séries. Ce n’est pas nouveau, sauf qu’à présent, ils tiennent souvent seuls la vedette. Un symptôme de l’époque?
« Meilleur est le méchant, meilleur est le film », clamait tonton Alfred. Une formule qui se vérifie à chaque page du grand livre de la fiction. Sans remonter à Lucifer dans la Bible ou au bestiaire flippant -cyclope, hydre, Minotaure…- dans la mythologie, les grands récits modernes qui infusent l’imaginaire collectif sont peuplés de méchants. À commencer par ceux exposés dans le grand magasin de bonbons de la pop culture. Qu’ils soient humains comme Annie Wilkes dans Misery ou Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux, « augmentés » comme Terminator ou Magnéto, le mutant en chef de X-Men, d’une autre espèce comme Bruce, le requin blanc des Dents de la mer, voire extraterrestre comme la bébête dans Alien, ils incarnent chacun à leur manière la figure du mal à combattre.
Un coup d’œil aux films et séries qui inondent les plateformes et multiplexes ces derniers mois confirme une intuition tenace: on n’a jamais vu autant d’affreux dans les couloirs de la création. Deux exemples emblématiques fraîchement débarqués sur les écrans: le Joker, en scène pour un nouveau tour de piste dans Joker: folie à deux, cette fois en compagnie d’une Lady Gaga qui veut réveiller le dingue qui sommeille en Arthur Fleck. Et le Pingouin dans le spin-off sériel de Batman centré sur ce personnage de mafieux sans foi ni loi débarrassé des oripeaux burlesques du comics. Un aller simple dans les bas-fonds de la psyché dans les deux cas.
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Rien de neuf sous le soleil (de Satan)? Oui et non. Non, car la présence du méchant fait partie des meubles narratifs depuis que l’humanité (se) raconte des histoires. Oui, car on note un gros changement quand même: le bon qui tenait tête au démon et finissait presque toujours par l’emporter a disparu du paysage. Le méchant se suffit désormais à lui-même. Même les dieux ne cachent plus leurs turpitudes comme dans la série Kaos.
Que s’est-il passé? Longtemps faire-valoir des héros, en leur faisant parfois de l’ombre mais pas au point de les éclipser, les salopards, les pervers, les psychopathes étaient contractuellement programmés pour perdre. Chez Disney comme chez Marvel. Ce qui permettait de sauver la morale, quand bien même les certitudes de la tête de gondole vacillaient au moment d’affronter le grand méchant loup (qui n’est que notre double maléfique comme l’a expliqué Freud). Un trouble passager qui atteignit son acmé pop quand Dark Vador a balancé de sa voix synthétique « Je suis ton père » au vertueux Luke Skywalker.
Cette vision manichéenne teintée de morale judéo-chrétienne tend donc à être supplantée aujourd’hui par de la noirceur pure, où le déchu règne (seul) en maître. Avec ses figures du crime fascinantes, Le Parrain ou Scarface avaient déjà jeté les bases de cette surexposition du côté obscur de la Force. Si l’un et l’autre sont devenus cultes, c’est d’ailleurs à cause ou grâce à la fascination qu’exerce l’ubac, terre des pulsions et désirs interdits que ne refoulent plus des tabous ratiboisés par l’individualisme et le matérialisme. Les bons et les mauvais ont fusionné pour donner naissance à des figures fictives complexes et pleines de défauts auxquelles on s’identifie sans… mal.
« Ces vilains que nous redoutons parfois, qui nous dégoûtent par moments, qui peuvent bien évidemment nous faire peur, nous fascinent pourtant pour une simple et bonne raison: ils osent acter ce que nous, dans nos névroses communes, ne pourrions qu’effleurer de l’esprit », écrit Jérémie Gallen dans La Psychologie des méchants (éditions Opportun). Vraiment? L’actualité (comme les réseaux sociaux) n’est pourtant pas avare en apôtres du Mal qui agissent au grand jour. Où sont passés Superman, Tintin ou Harry Potter pour les remettre dans le droit chemin?
Il est ainsi tentant de faire le parallèle entre cette éclipse de la figure héroïque et une société gangrenée par la violence, en panne d’éthique et de sens. Les scénaristes ne sont pas devenus soudain des sadiques. Ils hument juste l’air du temps et l’injectent dans leurs scripts. Comme hier Bob Kane quand il a imaginé Gotham sur le modèle d’un New York à la dérive. Les surhommes de la série The Boys illustrent bien cette évolution. Les super-héros d’hier, probes et irréprochables, se sont mués en dangereux prédateurs collectionnant les vices et agissant pour leur compte personnel.
À croire qu’on a les méchants qu’on mérite… ●
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