Pourquoi, après la sorcière, ce sont la nonne et la sirène qui ont les faveurs de la fiction

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Il y a cinq ans, la figure de la sorcière a été remise au goût du jour dans une perspective féministe. Aujourd’hui, ce sont deux autres personnages qui sortent du placard: la nonne et la sirène.

Après la sorcière, sortie du placard et du purgatoire en 2019 par l’essai choc et féministe de Mona Chollet, est-ce au tour de la nonne et de la sirène d’apporter de l’eau au moulin de la pop culture? Il ne faut pas aller chercher bien loin ces deux figures féminines. Rien que cette semaine, l’esprit divin souffle sur un film, Mother, consacré à un moment charnière de la vie de Mère Teresa, et sur l’un des albums les plus attendus de l’année, Lux de Rosalía, grand-messe symphonique bourrée de chœurs, de génuflexions et références pieuses. «J’ai étudié la vie de saintes», confie la chanteuse espagnole pour expliquer ce virage mystique. Rien à voir, en apparence du moins, avec les canons habituels de la culture mainstream, plutôt friande de personnages moins corsetés –vestimentairement et spirituellement– et de préoccupations plus terriennes…

Une déferlante de cornettes qui touche tous les genres. Le cinéma horrifique, par exemple, s’en est fait une spécialité, convoquant l’exorcisme, les forces occultes et le diable pour alimenter sa parade cauchemardesque, comme dans Dark Nuns, un film coréen de Kwon Hyeok-jae, ou dans The First Omen, préquelle du classique La Malédiction de Richard Donner, qui date de 1976. Une procession qui se prolonge au rayon séries: dans la deuxième fournée du thriller Nine Perfect Strangers, un des personnages est une ex-bonne sœur rongée par la culpabilité. Sans oublier La Mesías, série-événement de 2024 qui baignait dans une ambiance surnaturelle kitsch et dévote.

Certains indices anticipaient cette résurrection. La Religieuse, avec Pauline Etienne, sorti en 2013 se glissait dans les pas et les doutes d’une jeune femme rebelle découvrant l’envers de l’autel. Un scénario qui irrigue aussi Immaculate avec Sydney Sweeney, sorti l’an passé, l’ambiance gore en plus. Même Virginie Efira a enfilé la tunique le temps d’un biopic pas très catholique sur une nonne lesbienne. C’était dans Benedetta en 2021.

Bref, un mélange de dolorisme, de révolte et de féminisme qui tranche avec la légèreté et les éclats de rire de la nonne funky de Sister Act –inoubliable Whoopi Goldberg. On est plus proche de nos jours de la grosse crise de foi d’une Sœur Sourire, dont le one-hit-wonder Dominique a éclipsé les tourments de la vie personnelle, révélés dans le film de Stijn Coninx en 2009.  

En 1992, la nonne pop interprétée par Whoopi Goldberg faisait danser le monde entier. Entretemps, l’image de la religieuse dans la fiction a changé: elle est devenue une arme politique pour libérer la parole des femmes. Comme la sorcière et la sirène.

Je le disais en préambule, la religieuse n’est pas le seul archétype à bénéficier d’une hype favorable. La créature hybride des mers s’invite aussi au banquet. Une réhabilitation encore plus étonnante, la sirène étant associée dans l’imaginaire moderne à une créature lisse –merci Disney–, dont la personnalité romantique a effacé les incarnations nettement plus ambivalentes de la femme-poisson dans la mythologie, dans l’Antiquité et encore au Moyen Âge, quand elle symbolisait la tentation, la luxure, la dualité. Femme donc maléfique. C’est évidemment cette réputation sulfureuse qui intéresse les artistes aujourd’hui, pour mieux la tordre, dénoncer le poids du patriarcat et des assignations binaires –princesse ou dépravée–, et se réapproprier cette figure trouble. Notamment dans le formidable roman Le Monde est fatigué du Suisse Joseph Incardona, dans lequel une sirène professionnelle se sert de son costume de scène pour cacher ses infirmités mais aussi pour nager dans les eaux troubles d’un capitalisme déshumanisé. On pourrait aussi citer Sirens, la série avec Julianne Moore. Ou le film Parthenope, du nom de la sirène mythique, dans lequel Sorrentino imagine une version moderne encore captive du male gaze.       

On l’a compris, des sirènes et des nonnes aux sorcières, il n’y a qu’un pas. Ou un coup de palme…

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