Avec pas loin de 500 titres, la rentrée littéraire 2025 joue la carte de l’abondance. Un signe de prospérité? Pas forcément. L’édition résiste mais cache des situations contrastées. Etat des lieux.
La rentrée littéraire, c’est un peu le Tour de France des amateurs de romans. Pendant plusieurs semaines, ils vivent au rythme du peloton des auteurs, assemblée hétéroclite de têtes d’affiche et de challengers, de puncheurs au style percutant et de grimpeurs au coup de pédale plus aérien, de sprinteurs qui règlent leur affaire en 100 pages nerveuses et de «durs au mal» qui labourent l’imagination sur 700 pages et plus. Certains champions combleront les attentes, d’autres se révéleront en méforme, des déceptions vite effacées par le panache de primo-romanciers qui auront réussi à prendre l’échappée médiatique. Rien de plus beau que de voir émerger de nulle part une nouvelle voix singulière qui affole le palpitant des libraires, des journalistes, des influenceurs et des lecteurs occasionnels ou réguliers. Qui sera la nouvelle Neige Sinno?
Cette année, ce ne sont pas moins de 484 romans qui figurent sur la ligne de départ, soit 25 de plus que l’an passé. Ce qui pourrait laisser penser que le secteur a le vent en poupe. Comme on le lira dans notre dossier, la situation est en réalité plus complexe. L’édition est un immeuble dont les étages (littérature générale, jeunesse, édition scientifique, BD, etc.) évoluent au gré des caprices de la météo éditoriale locale. Il suffit parfois d’un best-seller pour donner le sourire à un sous-genre sans que les autres en profitent. Faute de locomotive (et aussi à cause d’un essoufflement de la frénésie manga), la BD a ainsi connu un début d’année plus difficile. L’arrivée en gare cet automne du nouvel Astérix devrait toutefois remettre ce compartiment de l’édition sur les rails.
Un effet en trompe-l’œil qui touche aussi la littérature. En ce moment, elle a l’air de tenir le coup si l’on se focalise sur la dernière ligne du bilan comptable, mais c’est principalement grâce à quelques arbres luxuriants qui cachent une forêt de modestes arbustes. Sans les chiffres stratosphériques de Freida McFadden (La Femme de ménage) ou, surtout en Belgique, du médecin légiste Philippe Boxho –preuve que l’appellation «littérature» regroupe des pommes et des poires…–, le marché aurait moins bonne mine. Difficile donc d’en déduire que la lecture résiste à l’invasion (barbare?) des écrans. Surtout que la dématérialisation n’épargne désormais plus le dernier village d’irréductibles. Sa croissance repose en effet en partie sur le succès des livres audio et sur une progression lente mais continue du livre numérique.
Ce qui n’empêche pas de se réjouir: le besoin de s’évader, de déconnecter ou de ralentir le tempo souffle dans les voiles d’une pratique culturelle qu’on avait (trop) tôt fait d’enterrer. Et si le rituel de la rentrée a un côté fête du Beaujolais nouveau agaçant, il est néanmoins l’occasion de célébrer le plaisir incomparable de la lecture. De rappeler que «lire, c’est résister». A la bêtise, à la soumission, à la simplification. On peut même se contenter d’accumuler des livres qu’on ne lira jamais. Les Japonais, qui ont décidément des mots pour tout, appellent cette petite manie le tsundoku. S’entourer de bouquins est vu comme un signe de vitalité, de curiosité, de raffinement et d’ouverture d’esprit.
Reste à savoir par où commencer. Simple comme bonjour: par un des 30 titres «lus et approuvés» de notre sélection. Un échantillon euphorisant où se côtoient valeurs sûres (Emmanuel Carrère, Nina Allan…) et surtout beaucoup de révélations (Rebeka Warrior, Séphora Pondi…), qui disent sur un ton décapant, radical, rafraîchissant, le monde –mais aussi la famille, thème majeur de cette cuvée très tournée vers l’autofiction– tel qu’il est, dans toute sa splendeur et toute sa laideur.