Les femmes réduites au silence en Afghanistan ou comment effacer leur identité

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Une nouvelle loi du régime des talibans oblige les femmes à se cacher complètement le visage et leur impose le silence dans l’espace public. Ou comment effacer encore un peu plus leur identité.

C’est bateau à dire mais on vit quand même dans un drôle de monde. Alors que des milliardaires s’offrent des vacances dans l’espace, que des mèmes facétieux inondent les réseaux sociaux, que des séries télé parlent ouvertement de transidentité ou de non-binarité, au même moment, en Afghanistan, les femmes sont réduites au silence. Littéralement. Sauvagement. Il leur est désormais interdit de chanter ou juste de faire entendre leur voix dans l’espace public. Ou comment effacer leur identité.

Hallucinante, la dernière loi « sur la vertu et le vice » (on dirait un titre du marquis de Sade…) promulguée à Kaboul fait froid dans le dos. Si on en doutait encore, le régime islamiste est en train de devenir un showroom de la barbarie. Avec comme toujours, dès que l’obscurantisme sert de boussole, la femme dans le rôle de souffre-douleur des pulsions et des fantasmes masculins. Car si les gardiens de l’orthodoxie coranique mettent autant d’acharnement à bâillonner leurs conjointes, leurs mères et leurs filles, c’est d’abord et surtout parce qu’ils ont peur de ne pas pouvoir maîtriser leur propre libido. C’est évidemment plus simple et commode de faire disparaître la source de sa concupiscence, surtout quand on a le pouvoir et une kalachnikov en bandoulière, que d’apprendre à apprivoiser ses bas instincts.

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Depuis l’annonce des talibans interdisant aux femmes de chanter, des Afghanes défient le régime en poussant la chansonnette à visage découvert et publient leurs vidéos sur les réseaux sociaux.

Déjà sommées de se cacher des pieds à la tête depuis que ces grands humanistes de talibans ont repris les rênes du pays en 2021 -humiliant au passage les Américains, 22 ans après avoir fait pareil avec les Russes-, déjà privées des plaisirs et libertés les plus élémentaires (comme aller à l’école au-delà des primaires, faire du sport ou se cultiver), voilà les Afghanes non seulement invisibilisées mais aussi dorénavant muettes. Naître sous XX dans ce coin du monde, c’est la double, voire la triple peine. Avec la misère en plus (qui touche 80 % de la population). Comme le résumait récemment sur France Culture les responsables de Radio Begum, la dernière radio qui donnait encore la parole à la gent féminine, le seul droit qu’il leur reste, c’est de respirer.

Même les animaux sont mieux traités en Afghanistan. En franchissant ce nouveau palier dans la déshumanisation et l’effacement, les fous de Dieu entendent confisquer le dernier espace d’expression qui échappait encore à leur délire paranoïaque. Cet acharnement traduit une vision purement répressive de la charia, que même l’Iran ne partage pas. Un choix paradoxalement hyper séculier puisque, comme le rappelait à La Libre Baudouin Dupret, politologue et juriste au CNRS, « ils prennent la loi islamique comme si c’était un Code civil. Or, les hommes ne peuvent pas directement deviner la volonté divine. C’est donc une illusion de dire que la charia dicte explicitement des choses. » Et d’ajouter qu’ »il y a autant de charias qu’il y a d’interprètes« .

Cette décision insupportable met paradoxalement en lumière la puissance du chant. Son potentiel de subversion aussi. Les talibans s’en prennent à cet organe parce qu’ils redoutent son pouvoir sensuel et émancipateur, autant que les messages séditieux et les revendications politiques qu’il peut véhiculer, soit explicitement, soit enrobé de musique. La voix est le mégaphone de la pensée. La murer, c’est enfermer le cerveau, le museler. Encore une fois, la peur, à commencer par la peur d’eux-mêmes, de leur faiblesse morale, est le seul guide des mollahs.

Les islamistes auraient-ils un problème avec la parole des femmes, en plus de celui qu’ils ont avec leurs corps, leurs cheveux, leurs rires, leur intelligence? C’est ce que laisse aussi penser le roman de Kamel Daoud, Houris, l’un des livres événements de cette rentrée. L’histoire tragique d’Aube, qui se souvient dans un monologue déchirant de la « décennie noire » (1992-2002) en Algérie, période pendant laquelle la région a été mise à feu et à sang par les djihadistes et l’armée. En tentant de l’égorger, les premiers lui ont coupé les cordes vocales. Déjà la volonté d’humilier et de faire taire à jamais…

Encore un petit effort, messieurs les tortionnaires, il doit bien rester des poches de liberté à anéantir en Afghanistan. Ah oui, vous pourriez par exemple enfermer ces « vipères » dans des cellules individuelles pour éviter qu’elles ne murmurent entre elles. On n’est jamais trop prudent… ●

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