Le Livre de Poche, petit mais vaillant (édito)
Le Livre de Poche fête ses 70 ans. Celui qui a largement contribué à démocratiser la littérature fait toujours les beaux jours de l’édition, notamment grâce à de nouvelles collections qui soignent l’emballage. Et si le format pocket était la meilleure arme contre la numérisation galopante?
70 ans et toutes ses dents! Lancé en février 1953 sous l’impulsion de l’éditeur Henri Filipacchi, Le Livre de Poche est un septuagénaire qui a de beaux restes. Non content de tirer tout le marché de l’édition (un livre sur quatre vendu en France), le format pocket est en outre le meilleur allié de l’industrie -surtout du fait du peu d’engouement sous nos latitudes pour le livre numérique- face aux défis colossaux qui se dressent sur sa route. Son prix doux (7,90 euros en moyenne) le rend (encore) plus attractif que les éditions originales en période d’inflation galopante. Et sa taille mini lui assure une transportabilité comparable aux écrans -même si, ne nous voilons pas la face, le support imprimé face aux smartphones et tablettes, c’est un peu David sans sa fronde contre Goliath, ou pour coller à l’actualité, l’Ukraine sans les Occidentaux contre l’ogre russe.
Rien d’étonnant dès lors à voir les maisons d’édition se jeter sur cette bouée de sauvetage. Pas simplement en multipliant les références. Mais aussi en accordant un soin particulier à l’emballage. Pour les fêtes, on voit ainsi régulièrement fleurir de belles éditions pimpées. Au choix, coffrets de blockbusters comme Harry Potter ou classiques remis au goût du jour, éventuellement rehaussés d’une préface de prestige ou d’une nouvelle traduction. Ces dernières années, concurrence oblige sur ce segment-clé, chaque maison d’édition rivalise de créativité pour proposer des couvertures élégantes et accrocheuses. Fini les jaquettes ringardes ou austères des débuts. Désormais, les illustrations sont personnalisées: certains jouent la carte graphique (les motifs géométriques peps de Zulma par exemple), d’autres la carte du minimaliste (comme chez L’Olivier, dont l’identité visuelle a été confiée à la créatrice graphique Maya Palma), d’autres encore la carte de la planche BD (un fil rouge chez Totem, la “petite” bibliothèque de Gallmeister). Objectif: susciter la curiosité, déclencher une émotion, mais sans trop en dire. Et quand, en 2021, Monsieur Toussaint Louverture sort le grand jeu -enluminures, dorures, gaufrages…- pour habiller les six tomes de la saga Blackwater (un chef-d’œuvre sorti en 1983 aux États-Unis et jamais traduit depuis), plus question de cacher les poches sur la dernière étagère de la bibliothèque, ils ont gagné leur place sur la table basse du salon à côté des coffee table books de chez Taschen ou Thames & Hudson.
Pour le coup, ce qui frappe, c’est que l’initiative émane d’un éditeur indépendant de taille modeste et pas d’une des enseignes historiques qui ont emboîté le pas à Hachette et longtemps dominé le marché du XS, à savoir les J’ai Lu (1958), les Presses Pocket, les 10/18, les Points et les Folio. Car oui, désormais, chaque éditeur couve jalousement son fonds éditorial et entend le faire fructifier lui-même. Asphalte est le dernier en date à avoir franchi le pas en ce début d’année. Deux romans essuient les plâtres de sa nouvelle collection Asphalte Poche: Jusqu’à la bête de Timothée Demeillers et Je suis l’hiver de Ricardo Romero. Il n’est même plus rare que des éditeurs lancent directement des séries ou concepts pour le second marché sans passer par la version brochée. C’est notamment le cas de la collection True crime dont les récits revisitent de grandes affaires criminelles américaines. Un projet mené conjointement par 10/18 et le magazine Society. Signe que l’heure est à l’innovation et à l’hybridation. Le poche est un laboratoire démocratique, ce en quoi il perpétue quelque part une tradition frondeuse.
Car son succès ferait oublier qu’au début, l’accueil fut frileux. Une archive de l’INA exhumée à la faveur de l’anniversaire donne le ton. On y voit un fils de bonne famille se chagriner que le poche va “faire lire un tas de gens qui n’avaient pas besoin de lire”, ce qui va “leur donner une prétention intellectuelle qu’ils n’avaient pas”. Certains auteurs ont d’ailleurs toujours refusé de se voir “réduire”, à commencer par Julien Gracq. Un combat d’arrière-garde quand on voit aujourd’hui l’ampleur de la fracture culturelle -avec l’aimable contribution d’Instagram, de TikTok ou de ChatGPT- qui menace la civilisation. Un seul mot d’ordre donc: lisez peu importe le format, mais lisez, bordel!
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