Le film d’horreur, un (mauvais) genre qui cartonne

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Le film d’horreur traîne toujours une mauvaise réputation, ce qui ne l’empêche pas de cartonner. Hiiiiiii !

Bien sûr, le genre est bien installé. C’est Georges Méliès en personne qui a ouvert la voie dès 1896 avec Le Manoir du diable, dans lequel l’inventeur des effets spéciaux expérimentait déjà la technique de la disparition (inspirée des tours de magie) qui deviendra un classique des films d’horreur. Un genre qui a ses festivals (BIFFF), son âge d’or (les années 60 et 70, riches en productions bidouillées avec trois francs six sous et beaucoup de ketchup), ses plateformes (Shudder), ses films cultes (Shining, Massacre à la tronçonneuse…), ses sous-genres (zombies, tueurs en série…), ses sagas pop (Alien, Scream…).
Pour autant, cette longévité n’explique pas l’avalanche actuelle de films d’épouvante, qui n’aura pas échappé même à ceux qui ont le cœur trop fragile pour s’aventurer sur ce terrain-là. Un coup d’œil aux nouveautés -films comme séries- qui inondent les plateformes de streaming confirme cette intuition. Prenons au hasard Netflix. Outre une catégorie « Frissons garantis » qui figure en bonne place sur la page d’accueil (et propose un melting-pot de blockbusters plus ou moins réussis et plus ou moins terrifiants comme From, The Platform 2 ou The Haunting of Hill House), le top 10 séries du moment pour la Belgique se partage entre romcoms indigestes et feuilletons qui foutent la pétoche. Ainsi, à la date du 17 octobre, de nombreux abonnés du plat pays ont visiblement passé leurs soirées en compagnie des frères Menéndez (le true crime Monstres qui décortique le parricide d’un couple de millionnaires californiens) et de la poupée tueuse Chucky (ajout récent mais série datée de 2021), respectivement 4e et 5e du classement.

Chucky, la poupée qui fait non… non… non…


Si les salles sont moins exposées que les salons des particuliers, il ne se passe pas une semaine sans qu’un pitch horrifique ne vienne pimenter les sorties plus classiques. Logiquement, on va y retrouver en priorité les grosses franchises (Alien et Beetlejuice tout récemment, ou Saw dont le… 11e opus est attendu en 2025) et les réalisations dont le casting fédère potentiellement un public plus large que les fans hardcore d’hémoglobine et de portes qui grincent. Exemple typique: Longlegs, avec un Nicolas Cage parfait en serial killer insaisissable, sorti cet été. Un thriller anxiogène mais avant tout un bon film.
Paradoxalement, un peu comme le rap d’ailleurs, cet autre courant artistique longtemps méprisé, l’horreur a beau être l’un des genres les plus populaires, il n’en est pas moins l’un de ceux dont on parle le moins dans les médias traditionnels. Sauf bien sûr quand l’un de ses artisans pousse le bouchon de la violence un peu trop loin et finit par atterrir dans la rubrique faits divers. C’est le cas de Terrifier 3, que la France a décidé, fait rare, d’interdire aux moins de 18 ans (il est sorti chez nous le 23 octobre avec la mention préventive « déconseillé aux moins de 18 ans« ) à cause des «scènes de très grande violence» orchestrées par Art le Clown, à prendre au 10e degré, celui du grotesque total (lire la critique ici). Une restriction qui ne l’a pas empêché de se hisser en tête du box-office après deux jours d’exploitation.


Si on élargit le spectre, on voit que cette tendance gore déborde des écrans. La littérature est elle aussi contaminée. On pourrait citer l’entrée dans la Pléiade de H.P. Lovecraft (1890-1937), le grand-père des mondes imaginaires peuplés de monstres, qui sonne comme une consécration d’un genre historiquement sulfureux et infréquentable, mais plus encore, car plus révélateur de l’ampleur du phénomène, les ventes records des récits hantés dans les pays anglo-saxons, à commencer par le Royaume-Uni, où le segment enregistre une hausse historique de 54 % d’après la revue spécialisée dans l’édition The Bookseller.
Que cache cette poussée de cortisol (l’hormone de la peur)? Faute d’étude disponible sur le sujet, on en est réduit à des hypothèses de sociologue de comptoir. En vrac: le rôle cathartique du cauchemar éveillé, sa résonance avec une réalité de plus en plus trash, son potentiel infini d’innovation formelle et narrative (ce qui en fait souvent un laboratoire pour les genres plus sages) et l’évolution technologique qui met les effets les plus flippants à la portée de n’importe quel Romero en herbe. Ce qui ne change pas en revanche, c’est que hier comme aujourd’hui, le but final reste le même: arriver à ce qu’on ait « peur d’ouvrir les yeux et peur de les fermer », pour citer un des étudiants en perdition dans The Blair Witch Project. ●

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