Laurent Raphaël
Le bonheur si je veux
Au diable la morosité, la sinistrose, le cynisme et le défaitisme qui crachent sur l’avenir… Cette semaine, j’ai décidé de voir le verre à moitié plein. Le bonheur si je veux…
Au diable la morosité, la sinistrose, le cynisme et le défaitisme qui crachent sur l’avenir… Cette semaine, j’ai décidé de voir le verre à moitié plein. Le bonheur si je veux… Une petite cure de vitamines D pour combattre la dépression hivernale. Cela commence par quelques règles d’hygiène strictes: fuir les JT des grandes chaînes, supprimer les apps qui filent le cafard, reporter les appels aux SAV, rester sourd aux insultes des automobilistes, zigzaguer entre les gouttes de cyanure des ragots et des lamentations, se forcer à voir la lueur partout -même dans un tableau de Soulages, même dans un match des Diables.
Pas toujours simple. Le Grand Ordonnateur, doutant sans doute de ma réussite dans cette entreprise, m’a tout de suite mis à l’épreuve en m’envoyant une publicité de Louis Vuitton révélant dans un clair-obscur tamisé sculpté par la photographe préférée des grands de ce monde, Annie Leibovitz, deux hommes absorbés par une partie d’échec. Pas Magnus Carlsen et Garry Kasparov, les deux plus grands joueurs de tous les temps, mais bien Messi et Ronaldo! Cherchez l’erreur.
La semaine d’avant, j’aurais pouffé de rire devant ce tableau malgré sa composition solennelle qui aurait pu servir de modèle pour un marbre de Rodin. Ou plutôt à cause de cette composition constipée qui tente de nous faire croire que les deux footballeurs, entre deux matchs, deux shootings pour l’une ou l’autre marque et des millions de selfies, prennent le temps de s’isoler quand ils se croisent pour improviser une partie d’échecs sur une valise du maroquinier. Parce que je suis bien luné, je ne retiendrai pourtant que la promotion classieuse de ce sport cérébral. Après tout, s’il faut en passer par cette iconographie incongrue pour célébrer un jeu aux vertus multiples, notamment sur la mémoire, pourquoi pas.
Ce premier obstacle franchi avec sérénité, il fallait confirmer mes bonnes intentions en me concentrant sur les nouvelles qui justifient de parier quelques bitcoins sur l’humanité. Étonnamment, la récolte a été fructueuse. Pas plus tard que le lendemain, je tombais sur la recension dans Télérama du nouveau livre de Mona Chollet. Elle aussi est plutôt du genre à arpenter les égouts du patriarcat pour réhabiliter, au choix, les rêveurs (dans La Tyrannie de la réalité) ou les sorcières (dans le culte Sorcières, la puissance invaincue des femmes). Mais dans D’images et d’eau fraîche (Flammarion), la journaliste et essayiste fait un pas de côté pour évoquer son péché mignon: collectionner les images qui lui font “battre le cœur” sur le réseau Pinterest. Une “orgie d’images” où voisinent les photos de théières, les toiles de Pierre Bonnard et les portraits de Claire Bretécher.
“C’est vrai, le monde abrite aussi toutes ces merveilles”, s’enthousiasme-t-elle. Une invitation à la douceur, à la consolation et à régénérer le regard qui résonnent avec ma démarche. La brume du scepticisme commence déjà à se dissiper. D’autant que trouver matière à s’émerveiller sur un réseau social, cela compte double. Et même triple quand on réussit à dénicher une infime trace d’intelligence sur TikTok, cette machine à transformer toute la matière, même la plus sérieuse, en lol.
Il existe pourtant au moins deux raisons de ne pas prendre la prochaine navette pour la lune: le réseau chinois, via ses “booktokeuses” qui partagent leurs émois littéraires dans des petites mises en scène neuneu -pardon, je voulais dire mignonnes-, serait à l’origine d’un regain d’intérêt des ados pour la lecture. Bon, d’accord, on parle ici surtout d’un genre bien ciblé: les histoires d’amour à l’eau de rose. Mais rien ne dit que les lecteurs et lectrices de romance d’aujourd’hui ne seront pas les adorateurs de Despentes ou de Philip Roth de demain.
L’autre loupiote apparue sur mon radar est à mettre à l’actif d’un prof de philo strasbourgeois qui a trouvé l’équation (attitude décontractée+référentiel pop+t-shirt moulant) pour faire passer crème les concepts de base du bac philo. Baptisé Serial thinker, son compte TikTok affole les compteurs. Un petit miracle. Les mauvaises langues diront que c’est comme mettre de l’eau dans son whisky. Pas de quoi toutefois me chagriner en cette semaine d’espérance. Je fais feu (de joie) de tout bois!
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