La survie, thème de prédilection de la fiction

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Les fictions se font l’écho des temps incertains que nous traversons. Un indice parmi d’autres: la vague de films, séries et autres qui mettent en scène des individus en situation de survie.

Bienvenue en enfer! Pas celui pavé de Paris-Roubaix mais bien celui qui s’invite généreusement dans la fiction ces derniers mois. Et qui dit apocalypse, Armageddon, fin du monde, guerre civile, pandémie, menace galactique, écocide, cyber-panne générale, voire collision interstellaire, dit aussi survie. De l’humanité tout entière dans le meilleur des cas. Juste de quelques individus, la plupart du temps, coincés malgré eux dans un scénario catastrophe.


Un exemple parmi d’autres: Vincent doit mourir, l’épatant et remuant « survival » à la française de Stéphan Castang, 
récemment récompensé aux Magritte (catégorie Meilleur 
film étranger en coproduction). À la croisée du film de zombies et du thriller paranoïaque réaliste, il offre un fulgurant résumé, à l’os, des convulsions de l’époque. Le pauvre bougre -incarné avec un mélange de douceur et de bestialité par Karim Leklou- qui se fait agresser sans raison, au bureau et puis dans la rue, vit la vie de l’élu local qui se prend en pleine figure la colère de ses administrés, de la jeune victime de cyber­harcèlement ou encore du quidam qui 
se fait démonter le portrait parce qu’il a eu le malheur de croiser la route d’un agité du volant. Sous les habits du film de genre lo-fi et sans prétention couve une critique sociale au vitriol d’autant plus anxiogène que les causes du déferlement de violence importent peu, comme si on était déjà passé à l’étape -sans retour- suivante: la débâcle, le chaos, l’anarchie.

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Dans un registre plus météorologique, on peut également citer le récent huis clos polaire de Thomas Bigedain, Soudain Seuls, avec ce couple en perdition sur une île hostile, ou encore Acide, autre état des lieux guilleret sorti l’an passé et qui déboule aujourd’hui en VOD. Soit l’histoire d’une famille à trois pattes -dont Guillaume Canet et Laetitia Dosch- fuyant des pluies acides qui ne menacent pas que les extensions capillaires. Un pitch horrifique à prendre au premier degré comme un divertissement qui joue à nous faire peur, dans l’esprit des contes et légendes. Mais qu’on peut aussi regarder comme un cri d’alerte strident sur les risques climatiques qui se profilent à l’horizon si nous ne changeons pas rapidement notre logiciel. Une double lecture qui était déjà l’une des clés du succès phénoménal de Don’t Look Up avec sa comète destructrice, métaphore de tous les désastres à venir. Une prophétie puisque, malgré les avis de tempête du GIEC, nous n’avons jusqu’ici pas abandonné nos sales petites manies…


Signe de ces temps troublés, même Godzilla et King Kong reprennent du service pour incarner la menace d’extermination qui pèse sur la planète et ses locataires. Notre imaginaire a des airs de champ de bataille. Ou plutôt de vision cauchemardesque à la Jérôme Bosch. Et ce n’est pas les sorties prochaines de Mad Max: Furiosa, avec George Miller à la manœuvre, ou d’au moins un nouvel épisode de la saga Alien qui vont ramener le calme et dissiper la colère.

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Côté séries, ce n’est guère plus joyeux. Certes, la 
tradition du survivalisme est déjà bien ancrée dans le petit écran. Songeons à Lost. Mais depuis The Last of Us, les récits dystopiques ressemblent de moins en moins à des dystopies et de plus en plus à des séquences du JT. Prochaine apocalypse à cocher dans son agenda: Fallout, l’adaptation -qui débarque sur Prime- du jeu vidéo culte qui a ruiné le sommeil de pas mal d’ados. Terrés dans des bunkers depuis 200 ans suite à un léger différend nucléaire, des survivants refont surface et découvrent l’état piteux du monde. On rit d’avance…


Un autre indice de l’effet de contamination de la morosité sur la production artistique? Le dernier album de Manu Larcenet. Si l’auteur de Blast a jeté son dévolu sur La Route de Cormac McCarthy, ce n’est pas un hasard. Cette fable crépusculaire résonne avec le climat tendu actuel, et chacun peut aisément s’identifier à ce père qui tente de maintenir un semblant d’humanité dans un univers de désolation. Un petit chef-d’œuvre expressionniste qui nous rappelle que, si on adore le Jugement dernier sur papier, sur une scène ou sur écran, on préfère de loin la délicatesse, la douceur, la bienveillance, la nuance, l’indulgence, la solidarité et l’empathie dans la réalité.

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