Comment les séries ont fait de la cuisine un lieu politique

© Les Films Christian Fechner/AMLF
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Dans le climat anxiogène actuel, la nourriture fait office de refuge. Témoin notre addiction au sucre ou aux séries qui situent l’action en cuisine, où l’on sublime les produits mais où l’on passe aussi sur le grill les sujets de société qui fâchent.

Est-ce l’effet de la crise, du climat anxiogène, de la post-vérité qui sape nos valeurs et certitudes? Face au chaos ambiant, chacun cherche du réconfort là où il peut. Pour certains, c’est dans le sport extrême (bonjour la génération Strava), pour d’autres, dans les métavers ou dans un activisme à petite ou grande échelle, pour d’autres encore, dans la nourriture. Le Covid avait lancé le mouvement avec ses millions de vidéos d’anonymes partageant leurs recettes imparables pour réussir le pain ou le cake parfait, et rendre ainsi le confinement un peu moins pénible. La cuisine comme refuge. Le ventre comme source ultime de plaisir. Une tendance aux effets inattendus, sur l’architecture notamment, les cuisines ouvertes et les îlots placés au cœur des pièces de vie devenant peu à peu la norme.

La fiction ne pouvait pas passer à côté de cette vague de fond, qui se matérialise par la multiplication effrénée d’enseignes dédiées au sucré –au péril de nos artères– et par l’inflation tout aussi spectaculaire de coffee shops dans les (centre-)villes. Un coup de mou, un coup de stress, un coup de blues? Un cookie, un donut, un matcha ou un latte et ça repart. L’effet euphorisant du C12 H22O11 –la formule chimique du saccharose– et la douceur moelleuse des nouveaux élixirs agissent comme un baume apaisant, une caresse gustative dans un monde de brutes. Sur les écrans de toutes tailles, cette révolution de palais se traduit par une avalanche de productions jouant leur partition derrière un piano de cuisson. Après le phénomène The Bear, acclamé par le public et la critique, une nouvelle création française, Bistronomia (en VOD sur France.tv et bientôt sur France 2), nous plonge dans la marmite pour raconter l’histoire assez récente de la bistronomie.

Comme chez sa grande sœur américaine, il est moins question ici de mettre les petits plats dans les grands –même si on salive beaucoup– que de célébrer une cuisine sans chichi, inclusive et créative, portée par une brigade de jeunes cuistots autodidactes à la pointe de la coolitude et adeptes des produits de saison. Une ode à la bonne bouffe mais aussi une photographie à feu vif de la société, la série passant aussi à la poêle les sujets brûlants de l’époque. Rien n’est laissé de côté des zones d’ombre d’un métier, ici envisagé comme une métaphore miniature de notre monde, qui use les corps et subit l’impitoyable loi du capitalisme. Ni le racisme, ni le sexisme, ni la pression économique.

Bistromania ou quand la jeunesse prend le pouvoir en cuisine.
© France Télévisions

Place to be de la fiction, la cuisine de 2025 met donc au menu autant le réalisme que le romantisme encore associé à la gastronomie. Autrement dit, elle ressemble moins au Festin de Babette qu’à un thriller social au court-bouillon où rien n’est donné, surtout quand on ne rentre pas dans le moule. Ce qu’on savait déjà depuis Ratatouille. Signe de cet appétit télévisuel, c’est un resto branché bohème de New York qui est l’enjeu et une pièce centrale de l’intrigue de la nouvelle superproduction Netflix Black Rabbit, avec Jude Law et Jason Bateman en propriétaires magouilleurs et dépassés. Là aussi, on n’a pas oublié les side dishes, avec une cheffe noire qui sublime les hamburgers et régale le tout-New York, mais n’est pas prête à fermer les yeux pour autant sur une sale affaire de viol. On imagine la tête de Charles–Louis de Funès–Duchemin, l’inspecteur intraitable de L’Aile ou la Cuisse, débarquant dans ces nouveaux temples agités et politiques du fooding. Soupe à la grimace assurée!

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